CHARGEMENT...

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On ne sait qui, au gouvernement, prend la mesure de l'ampleur du mouvement des intermittents? En tout cas, ça semble sérieusement les emmerder... Voir ce titre du Monde (4 juillet): «Jacques Chirac et ses ministres redoutent un été pourri. Les intermittents compromettent la détente du climat social attendue après la réforme des retraites». L'auteure de cet article, Béatrice Gurrey, rapporte que «mercredi 2 juillet, en conseil des ministres, certains l'ont trouvé glacial et laconique. (...) Au lieu de jouir tranquillement de son succès sur la réforme des retraites –votée solennellement jeudi 3 juillet- et de profiter de la trêve estivale pour reprendre des forces, la majorité se prépare donc à un été pourri. «On est crevés», admettent certains ministres, qui soupirent à l'idée de voir les réjouissances estivales perturbées par les manifestations des intermittents. Surtout ceux qui se préparent à la bataille des régionales: «On espérait être un peu tranquilles. C'est loupé», glissent-ils. Le président avait d'ailleurs manifesté son agacement au premier jour du conflit. «Il était interloqué, témoigne un collaborateur. Et il estimait que cela tombait vraiment à un mauvais moment». Dans les bureaux de l'Elysée, où la télévision est branchée toute la journée sur LCI, on a suivi avec attention les prestations de Jean-Jacques Aillagon, le ministre de la culture, qui passait son baptême du feu politique. «Pauvre Jean-Jacques», ont compati ses amis ».

Qu'est-ce à dire? Voilà un conflit, celui des intermittents, qu'il ne devait guère être difficile de stopper avant qu'il ne prenne l'ampleur qu'il a aujourd'hui. Dès le 26 juin, avant même l'annonce de la signature de l'accord entre le Medef, la CFDT, la CFTC et la CGC sur les annexes 8 et 10, des rumeurs (vérifiées ensuite) ont circulé sur sa teneur. Et il était aisément perceptible que cet accord ne passerait pas auprès des premiers concernés, les intermittents. Très vite, dès le 27 juin, il était évident qu'au-delà des intermittents eux-mêmes, un grand nombre d'artistes et de professionnels de la culture jugeaient cet accord désastreux. Il suffisait alors d'en prononcer le gel, d'annoncer que le gouvernement refuserait d'agréer cet accord, et de fixer un nouveau calendrier de négociations en convoquant dans l'intervalle la table ronde demandée, entre autres, par le Syndéac. Mais quand bien même le ministre de la Culture aurait été personnellement et intimement convaincu de la nécessité d'un tel geste, la décision ne lui appartenait déjà plus. Le Premier ministre a toutefois laissé Jean-Jacques Aillagon monter au créneau (épargnant curieusement le ministre des affaires sociales, François Fillon) sans lui octroyer la moindre marge de manœuvre. Les interlocuteurs qui ont rencontré le ministre de la Culture ces trois derniers jours (organisations syndicales mercredi et jeudi; Stéphane Lissner, Régine Chopinot, Stanislas Nordey, Christian Schiaretti, Jacques Blanc, Fabien Jannelle et quelques autres ce vendredi) l'ont alerté sur l'ampleur prise par le conflit, et sur la nécessité d'y répondre dans les plus brefs délais par un geste symbolique fort. En vain, à ce jour. Et pour cause: Jean-Jacques Aillagon ne peut plus concéder que ce que Jean-Pierre Raffarin voudra bien lâcher. Quand bien même le Premier ministre aurait décidé de sacrifier son ministre de la Culture, le fusible est déjà cramé: de toute évidence, ce n'est pas l'hypothétique départ de Jean-Jacques Aillagon du gouvernement qui calmera le mouvement actuel. Alors, cherchez la bonne adresse? La réponse se trouve quelque part entre le duo Raffarin-Fillon, le Medef (dans son rôle) et la CFDT (dont l'attitude est plus qu'ambiguë)...

Allez... Le dossier des intermittents serait-il à ce point central et décisif qu'il condamne le gouvernement à la plus grande fermeté? On pourrait certes se dire que si Raffarin cède aux intermittents, il créera un précédent dont sauront se souvenir d'autres catégories professionnelles. Mais voici quelques jours, il était encore possible d'arguer de la «spécificité» des métiers du spectacle et de l'audiovisuel pour justifier un tel compromis. En laissant le mouvement des intermittents se propager et gagner en audace et en audience, le gouvernement s'est lui-même barré cette issue de secours. A cela, il doit bien y avoir une raison. A demi-mot, Jean-Jacques Aillagon a confié voici peu à l'un de ses interlocuteurs qu'il était prisonnier d'un accord plus global, dont le régime des intermittents ne serait qu'une pièce du puzzle. Il est bon de se souvenir, à cet instant, que le contenu final de l'accord du 27 juin était connu dès la veille (nous l'avions obtenu d'une source fiable et donné en exclusivité sur mouvement.net). La nuit de «négociation» du 26 juin était donc une mascarade. Quelles tractations entre le ministre des Affaires sociales, le Medef et la CFDT ont précédé cet accord? Tout laisse à penser que ces trois entités, politique, patronale et syndicale, ont convenu d'un «deal» qui engloberait la réforme des retraites et les négociations à venir à l'automne, notamment sur la réforme de l'assurance-maladie (sans parler des privatisations à venir cet été d'EDF et de France Télécom, sur lesquelles la CFDT pourrait avoir assuré le gouvernement de ne pas bouger, en échange de quels avantages?).
On voit mal que l'agitation de Madame Roig, maire d'Avignon qui convoque ce samedi matin une conférence de presse pour présenter «l'appel des Avignonnais en faveur du festival d'Avignon», suffise à elle seule à changer les règles de ce jeu de dupes auquel se prête le Premier ministre. Les masques tombent, et c'est tant mieux. Au théâtre ce soir, si les décors sont de Jean-Pierre Raffarin, la pièce est écrite par le Medef à partir du scénario de la «refondation sociale». On peut légitimement se demander qui (nous) gouverne?

En tout cas, grâce à la maladresse politique des fidèles de Jacques Chirac (déjà éprouvée en décembre 1995), les spectateurs de cette pièce de mauvais boulevard que nous étions peu ou prou, allons pouvoir reprendre les rôles et écrire une toute autre pièce. Cela a déjà commencé, et va se continuer cet été, notamment à Avignon. Quelle que soit l'astuce que trouvera Jean-Jacques Aillagon pour calmer les ardeurs des intermittents (un moratoire de six mois avant que ne s'applique l'accord contesté?), c'est trop tard: la dramaturgie du cours des choses lui échappe totalement. Et dans les festivals de cet été, en grève ou pas, il ne sera pas tant question des annexes 8 et 10 de l'Unedic, dans le détail de savoir s'il vaut mieux faire 507 heures en dix ou en douze mois. En 1996, comme nous le rappelons dans le dernier numéro de Mouvement, l'économiste Jacques Robin écrivait déjà: «Quelle implosion de la cohésion sociale faudra t-il supporter pour que l'on envisage de prendre en compte les conséquences économiques et sociales de la mutation technologique et de tracer alors de nouvelles perspectives? [...] En d'autres termes, va-t'on s'habituer à vivre en Europe avec 12 % de chômeurs, et demain avec 25% ou 40% (certains d'entre eux effectuant périodiquement des petits boulots insécurisants) dans une société de puissance et de jouissance immédiate pour les uns, de régression et de violence pour les autres, ou saura t-on changer nos manières de vivre et de penser pour nous ouvrir à un nouveau projet de civilisation?». C'est cette question-là (parmi bien d'autres) qui prendra corps dans les festivals de l'été. Il était temps, non?

Jean-Marc Adolphe
5 juillet 2003


PRISES DE POSITIONS

« Ça suffit ! » Lettre d'Autre(s)pARTs au Premier ministre
Autre(s)pARTs, Acteurs Unis pour la Transformation, la Recherche et l'Expérimentation (sur les relations entre) Populations, Art et Société, s'adresse dans une «lettre ouverte» au Premier ministre, ainsi qu'au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, et au ministre de la culture:

«De façon insidieuse, à différents endroits, de nombreuses mesures mettent en péril les artistes, les techniciens, les compagnies, tous ceux qui font (encore) la richesse du spectacle vivant en France. Après les fortes hausses des cotisations sociales (dont le récent doublement des cotisations ASSEDIC des intermittents), la fiscalité des associations, la fin des emplois jeunes, les collectifs budgétaires, la fin des classes à PAC - Projet artistique et culturel, la baisse du budget de l'AFAA... c'est la réforme du régime d'assurance-chômage des intermittents qui va porter un coup fatal à un grand nombre d'artistes et de compagnies.
Alors que les festivals sont menacés, des élus, des commerçants, des hôteliers, des restaurateurs, rappellent que la vie artistique est aussi synonyme de retombées économiques. En cette période estivale, la culture cesserait donc d'être considérée comme dispendieuse...
Mais l'art et la culture c'est avant tout l'échange et le partage, la transformation des regards et des perceptions, la réalisation de l' "être ensemble", la découverte de l'autre, le développement de l'esprit critique.
Autre(s)pARTs réunit des opérateurs culturels et des équipes artistiques qui, dans d'anciens espaces marchands ou industriels, ont décidé d'accueillir des artistes et de requestionner le rapport de l'art et de la société. Dans des territoires déshérités (milieu rural, "quartiers sensibles", péri-urbain...), ils replacent au coeur de la cité les questions de la place de l'artiste, de la nécessité de l'acte artistique et de sa relation aux autres.
Pour Autre(s)pARTs, la réforme du régime d'assurance-chômage des intermittents ne peut pas être déconnectée d'une nécessaire redéfinition de la politique culturelle et de son financement par l'État et les collectivités territoriales. Pour Autre(s)pARTs, la réforme du régime d'assurance-chômage des intermittents ne peut pas se faire sans concertation avec celles et ceux qui font la création artistique de notre pays.
Nous apportons notre soutien au mouvement initié par les artistes et les techniciens intermittents.
Nous demandons au Gouvernement de ne donner d'agrément ni à cette réforme, ni à une autre, tant qu'une réforme des moyens nécessaires au développement de la création contemporaine n'est pas en place».

Autre(s)pARTs (Acteurs Unis pour la Transformation, la Recherche et l'Expérimentation (sur les relations entre) Populations, Art et Société).
autresparts@free.fr

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