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Dès la soirée d’ouverture du jeudi 7 novembre, le ton est donné. Le groupe haïtien Nouvel Jénérasyon Tout Moun jwenn Rara Péyi A nous convie à la danse, en costumes traditionnels et alliant percussions et reprises de tubes pop internationaux. L’entrée dans le FIAP se fait ainsi par une déambulation qui finit par confiner à la transe. Cette confrontation d’une culture traditionnelle insulaire et des problématiques contemporaines est précisément l’une des thématiques de cette deuxième édition du FIAP, également traversée par les préoccupations écologiques et celles du genre.

Une des ambitions de ce festival étant de rassembler artistes et chercheurs de la Caraïbe française et de l’international pour permettre des échanges, les univers se côtoient et vibrent en échos. Cette année, l’Amérique du Nord est particulièrement représentée, notamment le Québec, avec la chorégraphe Lara Kramer célébrée au FTA de Montréal, les performeurs montréalais Alex Côté avec WATER.sync, une performance de fiction écologique, et André-Eric Létourneau qui présente Art performance, manœuvres, coefficients de visibilité, un livre d’anti-anthologie de la performance. Venu de New York et d’origine haïtienne et trinidadienne, Nyugen Smith (en collaboration avec le musicien martiniquais Marvin Fabien) met quant à lui la figure du politique en proie avec sa conscience.  « Lest we forget » dit-il. Avec ces mots habituellement utilisés lors de commémorations militaires, son personnage aux allures de roi nomade néo-futuriste s’inspire des discours prononcés lors de l’Assemblée Générale des Nations Unies en 2017 par le Premier Ministre de la Dominique Roosevelt Skerrit et celui de Barbuda, Gordon Browne, à la suite des ouragans Maria et Irma. L’être à la dérive est alors confronté à son héritage économique, aux périls climatiques mais aussi aux désastres causés dans ces îles par des décades de négligences écologiques.

 

Laboratoires et happenings  

Soucieux de s’ancrer localement, le FIAP propose par ailleurs des temps de laboratoire dans lesquels de nouvelles formes in situ peuvent s’inventer. Ainsi est née la performance Réceptions H.S. de Laurent Troudart (Martinique) et André Éric Létourneau (Québec), pensée exclusivement pour la sortie de ces bateaux de croisière qui défigurent le paysage de la ville. Que retiennent les touristes de passage qui se ruent sur l’île, à peine débarqués qu’ils rembarquent déjà vers d’autres horizons ?  Afin d’inquiéter leur paysage et leurs attentes, les deux artistes imposent leur présence près du débarcadère. Accrochés aux rampes des escaliers monumentaux de la Tour Lumina, complexe immobilier de luxe, têtes en bas et quasi inertes, les deux hommes se laissent glisser, mi-humain mi-animal. Ils entonnent des comptines de leurs enfances et invitent les touristes à déguster du rhum dans une gigantesque noix de coco posées en équilibre sur leurs corps. 

À l’instar de cette action quasi happening, le festival embarque son public dans tous les recoins de la ville. Du marché aux viandes du centre-ville aux hangars du grand port maritime ; de la Scène nationale Tropiques Atrium au Musée d’archéologie précolombienne et de préhistoire de la Martinique, les artistes comme les spectateurs sont invités à explorer l’espace public, à être surpris dans leur quotidien. Un matin ensoleillé de novembre, un duo d’artistes s’installe dans le marché aux fruits de Fort-de-France, bastion de folklore régional. Là se côtoient les bouteilles de rhum arrangé, les fruits des Caraïbes et les objets d’artisanat pour les touristes avides d’emporter avec eux une réminiscence colorée de leur passage en Martinique. Lui, Isil Sol Vil est catalan, et elle, Marina Barsy Janer est portoricaine. Avec douceur, ils nous plongent dans les rituels vaudous et traditions de leurs cultures respectives, l’un pratiquant la scarification, la seconde des mouvements parfois proches de la transe. Si la représentation explore pour certains le rapport fictionnel aux traditions et aux croyances, pour d’autres la gestuelle devient presque profane et provoque un esclandre sur la place du marché, relayé très rapidement par la chaine de télévision régionale.  Hors des murs protecteurs de la galerie d’art ou du théâtre, le geste artistique vient alors bousculer le quotidien, les superstitions résiduelles et croyances d’une culture marquée au fer rouge par les violences de son histoire coloniale. Et provoque des discussions, où l’urgence de s’emparer de ces tabous se fait sentir.

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