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Lorsqu’il passe son chiffon mouillé en légères arabesques sur le sol noir de la petite salle de Montévidéo, est-ce pour laver, effacer, ou bien tracer des dessins qui ont vocation à s’évanouir immédiatement ? Le premier geste de Filippo Michelangelo Ceredi est aussi anodin que polysémique. Peut-être qu’ici, tout est déjà dit. Et pourtant, rien n’a encore commencé. Il s’avance vers son ordinateur, ouvre une fenêtre de traitement de texte et écrit les premiers mots de sa performance, qui sont aussi les premiers de sa recherche. Between me and P. est une enquête familiale à la recherche d’un frère qui a « volontairement disparu » en 1987. Sur scène, armé des maigres matériaux qu’il a récoltés, le cadet tente tant bien que mal de donner de l’épaisseur à cette absence qui a hanté toute son enfance. Livres lus et étudiés sont bientôt disposés dans l’espace pour sculpter un corps, les photos prises par le disparu sont projetées pour façonner un regard, mails et lettres échangés diffusés pour entendre une voix, témoignages familiaux pour faire battre un cœur… Et progressivement, le plateau s’emplit d’une présence autre, à la frontière du spectre et du souvenir. 

p. Margaux Vendassi - Festival Parallèle

« Disparaître volontairement », est-ce se donner la mort ou se volatiliser dans le maquis de la résistance ? Traversée d’euphémismes et de pesants silences, la question ne sera jamais tranchée. Car dans ce portrait en creux, c’est un miroir que semble chercher Filippo Michelangelo Ceredi. Comme dans cette thérapie qui consiste à tendre un reflet du « membre fantôme » aux personnes amputées pour les apaiser de leur souffrance, il semble que ce soit uniquement en visualisant la partie manquante de son être – en allant jusqu’à se confondre avec l’image de son frère dans une saisissante image finale – que le performeur puisse s’appartenir à nouveau. Ébréché mais entier, revenir alors du côté des vivants.

 

Vacance de soi

Dans un registre diamétralement opposé, Ondine Cloez nous convie à son tour dans Vacances Vacance à un spectacle aux frontières du rituel magique, dont nous serons cette fois les cobayes. Timide et bravache à la fois, dans son short rose et son tee-shirt acidulé, l’interprète et metteure en scène nous attend sur la scène du Théâtre du Gymnase. Et puis se lance dans un exercice qui, à première vue, a toutes les allures d’un stand-up. Où elle réfléchit à haute-voix sur ce que sont, substantiellement, les vacances – à savoir « le fait de ne pas être à la place qu’on occupe habituellement » –, compare la chose à une « expérience de mort imminente » et décide d’apprendre à sortir de son corps, après s’être perdue en savoureuses digressions sur ce qu’est la grâce… Quand vient le moment d’orchestrer la fameuse « danse de la disparition », la lumière se diffractant en une pluie d’étoiles et le son se réverbérant en voix off comme dans un cocon enveloppant, c’est le spectateur, bien plus que l’interprète, qui s’envole loin de son enveloppe charnelle...

p. Florent Garnier

 

Par effraction

Si elle part, elle aussi, vers des territoires oniriques, la plasticienne et metteure en scène Silvia Costa préfère en explorer les versants anxiogènes. Sur une invitation de Lou Colombani, elle exposait pour la première fois ses « Dessins de nuit » à la Galerie HLM, et activait cette mise en espace dans une performance inédite. Consignés dans des carnets, ces croquis sont le fruit d’un combat intime et quasi-journalier contre l’insomnie. Peuplés de figures androgynes sans visage, ces derniers se détachent sur les murs de la galerie comme un chemin de fulgurances de pensées et d’énigmes qui se répondent les unes aux autres. Une main sortie d’un mur titrée « Dove sei ? » dialogue avec « Sono dentro », une cheminée de brique cerclée d’une cible. Un corps désarticulé répond à une file indienne de personnages tenant chacun un membre disloqué. Un homme hurle du vent, l’eau offre des câlins et la mémoire fuit en silhouette de poussière.

p. Margaux Vendassi-Festival Parallèle

 

Et puis sans prévenir, Silvia Costa débarque en uniforme de policier, lampe torche et pistolet au poing. Dans l’obscurité à peine perturbée par un laser rouge, visage fermé et gestes martiaux, elle parcourt la salle, comme à la recherche d’elle-même. Cette excursion ne mène qu’à une toile d’araignée. Alors, elle fait tomber le masque, dépose les armes et abandonne une partie de ce qu’elle est, celle qu’il fallait fuir pour pouvoir voir les tableaux et les comprendre. Elle murmure, se parlant d’abord à elle-même :  « Ça c’est moi, essayant de me souvenir de tous les hommes que j’ai eus » ; « Ça c’est moi quand j’ai compris que ma discipline était celle de la limite. » Son identité se diffracte et se multiplie. La recherche de soi n’est pas une enquête : c’est un cambriolage. Il faut laisser choir les apparences et avancer à pas feutrés dans le règne du trouble, comme par effraction.

 

> Le festival Parallèle a eu lieu du 26 janvier au 3 février à Marseille

 

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