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Sébastien Roux – Les disparitions


Il est 22 heures un jeudi soir. Une soixantaine de personnes siège sagement dans le Théâtre Pitoëff, aménagé en acousmonium pour le festival. Assis ou allongés, la communauté d’auditeurs se recueille dans l’obscurité sur une série de « field recordings », des captations d’environnements sonores. Une bouche d’évacuation dans un boulevard alentour ; une autoroute ; un match de foot ; trois notes de violoncelle dans un bâtiment. Cette communion, cette attention à l’infime, c’est là toute la beauté et la fantaisie des arts sonores et de ses adeptes. Ce soir, Sébastien Roux zoome sur un phénomène : comment le son disparaît-il ? Dans chaque pièce diffusée, son micro s’éloigne de ses sources, pas à pas. Fantômes sonores, illusions auditives, amalgames des matières. L’expérience du compositeur français ouvre une brèche : à la moindre donnée audio, et selon l’intensité du volume, l’imaginaire galope, recompose, projette. En chacun de nous le bruit, même le plus concret, a ses affects, son historique. Par wifi, Roux communique sur nos smartphones des éléments sur ses matériaux, puis s’emballe : pendant une dizaine de minutes, le vent souffle dans une pinède provençale et l’artiste décrit tous les sons qu’il a exclu du montage. Sans même y penser, l’esprit les fabrique. C’est comme s’ils étaient là. 

 


©Greg Clément



Thierry Madiot – Massages sonores

 

Bouchons d’oreille, casque anti-bruit, masque de nuit : l’auditeur est coupé du monde qui l’entoure, allongé sur une table dans un hall animé du QG d’Archipel. Ce vieux bureau d’école est en fait une station d’écoute truffée d’outils, pour certains fixés au pieds du mobilier. Thierry Madiot ne touche pas le patient durant les quinze minutes de son « massage sonore ». C’est par conduction osseuse qu’il délivre son concert personnalisé. Dans un premier temps, l’esprit identifie : le frottis des brosses, des cliquetis métalliques, la vibration d’une spatule à enduire. Puis, l’inconnu. Une abstraction bruitiste que l’on reçoit de l’intérieur. Le son pour ses propriétés physiques, ses démangeaisons, sa sensualité. D’ailleurs, l’intitulé est trompeur : rien de thérapeutique dans ce « massage ». Certaines textures sont trop rappeuses pour se laisser aller et l’ensemble est assez riche pour faire composition. Quant à ce doux bruit qui fait partir loin en fin de parcours, mécanique mais si tactile : ce sont des hand-spinners collés à même le bois. À reproduire chez soi.

 


©Greg Clément


 

Flo Kaufmann – Flozki Care

 

« Celui-là a d’abord été longtemps utilisé dans les clubs BDSM », explique avec un fort accent alémanique Flo Kaufmann, lui qui se surnomme avec humour « docteur électro » dans le questionnaire chelou qu’il soumet en préambule de sa « consultation » dans un coin du festival. L’engin en question – une « violet wand » – ressemble clairement à un godemiché prolongé par un embout plus fin en plastique transparent. C’est par cette extrémité que des décharges électriques, légères mais bien réelles, se déclenchent au contact de la peau, libérant dans le tube une petite foudre violette. Avant de tester toutes ses babioles électriques sur les visiteurs, l’artiste-bricolo suisse nous met en garde : porte-t-on un pacemaker ? Mais surtout : quel est notre gourou préféré ? Parmi quelques propositions, j’ai choisi Osho. Ça tombe bien, le célèbre guide indien, qui prônait de rompre avec le monde matériel mais possédait des bagnoles de luxe, avait lancé un club à Berlin, raconte Flo. Mais aujourd’hui, on est là pour prendre le jus, pas pour danser. Et qu’importe votre choix ni vos croyances, tout le monde est à la même enseigne. Via divers patches franchement DIY, le thérapeute – son diplôme de « guérisseur spirituel » figure dans un cadre brisé sur son bureau – vous branche sur des bécanes ultra vintage. Partant de là, à vous d’envoyer les volts. Et le « synthétiseur d’acupuncture » picote pas mal, sachez-le. Côté thérapie, on demande à voir. Mais question trip ésotérique, faîtes confiance au Docteur K. 

 


©Greg Clément



Jean-Baptiste Monnot, Vincent Thévenaz et Sandra Boss – L’orgue du voyage #2 

 

Oui, il y a aussi des concerts en salle à Archipel. C’est même le gros de la programmation. S’il fallait en choisir un, cela pourrait être ce récital à trois interprètes sur « l’orgue du voyage », hydre modulable de souffle et de tubes, sur la route depuis une quinzaine d’année. En première partie, les organistes Jean-Baptiste Monnot et Vincent Thévenaz se donnent le relais et jettent des ponts entre baroque et contemporain sans que les coutures ne paraissent. Une plongée dans des gouffres de basses, le neutralisant Magma de Victor Cordero, cède la place au Canon perpétuel de Bach ; une cavalcade de Michelangelo Rossi – Toccata settima – se fond dans les harmoniques mouvantes de la Coulée de György Ligeti. Sandra Boss leur succède avec une commande personnelle, contrôleur midi à l’appui. La compositrice danoise envoie des micro-signaux rythmiques qui coupent le souffle de la bête et font japer les tuyaux. Un code morse quasi-atonal, à quelques encablures d’une pièce d’électro pure, là où l’orgue n’aurait peut-être pas cru voyager.

 


©Greg Clément



Le Festival Archipel s’est tenu du 4 au 13 avril à Genève (Suisse)


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