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photo : Raphaël Poletti, pour Mouvement

À Ajaccio, il existe au moins un lobby d’hôtel où un article sur Jérôme Ferrari est épinglé au mur. Le signe fait sourire après la lecture de Nord Sentinelle, son nouveau roman qui critique frontalement l’industrie touristique. Avec une ironie cinglante qu’on ne lui connaissait pas à si haute intensité, l’écrivain donne à ce sujet d’apparence prosaïque des profondeurs existentielles. Il y a bien quelque chose de pourri au royaume des bateaux de croisières, du monoï et des « cultures indigènes » mises à prix : le système lui-même, qui transforme les idéaux de rencontre et d’hospitalité en publicité mensongère. Qu’importent nos intentions : nous sommes tous responsables. Les touristes, déplore le narrateur, « ne valent pas mieux les uns que les autres, les pauvres avec leur envie, les riches avec leur mépris, communiant dans la même insigne vulgarité, la même bassesse, et nous ne valons pas mieux qu’eux, nous nous sommes tant habitués à jouer à leur intention la comédie de l’authenticité et de la différence que nous ne serions bientôt plus rien s’ils détournaient le regard ».


Inaugurant une trilogie sur l’altérité, Jérôme Ferrari défriche une fois de plus un nouveau chemin formel et diffracte l’expérience de lecture. Si Nord Sentinelle se lit comme le récit tragique d’une vengeance entre deux adolescents, il se déchiffre aussi, en jouant à la marelle dans une architecture uniquement révélée par le sommaire, comme un recueil de contes. Mais la Corse et « le prix exorbitant de sa beauté », à la fois décor et personnage principal, n’y est encore que l’autre nom d’un univers métaphysique que le romancier construit livre après livre. Où le poids des généalogies, la fatalité, l’insondable problème du mal et la quête de transcendance dans un monde sans Dieu n’érodent jamais la valeur d’une vie, aussi minuscule soit-elle. Refusant de choisir entre la philosophie (qu’il enseigne) et la fiction (qu’il écrit), Jérôme Ferrari est peut-être le plus grec des auteurs corses.

Si le tourisme de masse fait partie du décor de vos précédents livres, Nord Sentinelle en fait son sujet principal. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’aborder cette question plus frontalement ? 


Je crois que j’ai toujours procédé ainsi : des motifs reviennent et à un moment je me focalise dessus. La photographie est présente dans tous mes livres, mais avec À son image (2018), j’ai essayé de la placer au centre. C’est à nouveau ce qui s’est passé avec Nord Sentinelle. On avait déjà abordé la question du tourisme. Je dis « on » parce que j’ai commencé à écrire en même temps que Marco Biancarelli. On vivait à Porto-Vecchio et on était exaspérés par les reprises locales des mythologies extérieures et par leur efficacité. Mais en effet, le tourisme c’était ça : le décor de ce qui se passait dans nos livres. Traiter un thème aussi frontalement pose des problèmes, parce qu’on risque de produire un discours didactique, un livre à thèse ou un billet d’humeur. Je ne crois pas que l’on puisse aborder la fiction en se disant : voici le thème, quelle histoire je peux trouver pour en parler ? Enfin si

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