S’il y a bien une chose qui agace Gisèle Vienne, c’est qu’on accuse ses mises en scène d’être violentes. Non pas que les pièces qu’elle créé depuis 20 ans fassent l’éloge du pacifisme. Simplement, une fois qu’on a posé ce mot, on n’a encore rien dit. À fortiori dans un moment où, par un étrange tour de passe-passe, ceux qui dénoncent les dominations sont plus volontiers taxés d’hystériques, de collabos ou de sécessionnistes que ceux qui les exercent. Qui décide de ce qui est violent ou pas ? Et quelles voix force-t-on au silence en les reléguant du côté du cri, donc de l’inentendable ? De la rave party (Crowd, 2017) aux confessions d’un serial killer (Jerk, 2008), à la lisière du théâtre, des arts visuels, de la danse et de la marionnette, les créations de Gisèle Vienne ne cessent d’être hantées par ces questions. Les formes qu’elle imagine déconstruisent les fausses évidences, interrogent nos perceptions. Ruth Vega Fernandez et Adèle Haenel ne pouvaient que se retrouver dans cette recherche. L’exigence de parler, quand tout pousse à se taire, Adèle Haenel – plus connue pour ses rôles au cinéma – en a fait un combat artistique et politique. Dans cette conversation, le mot-joker n’a jamais été prononcé. Mais il est assurément question de révolte, de joie, d’intelligence et de vie. De ces forces lumineuses que l’on perçoit aussi dans la violence si on prend le temps de la considérer dans ses aspérités.
Comment continuer à faire du théâtre dans le cadre d’un couvre-feu ou d’un confinement ?
Adèle Haenel : « On aimerait un gouvernement qui s’attache pleinement à l’humain dans ce qu’il a de vivant.Mais son idéal actuel semble être de gouverner des gens qui se rangent bien, qui ne débordent pas. On n’a pas le droit de manifester. Toutes les tentatives intellectuelles, culturelles, toutes les insurrections pour la dignité de la vie sont tournées en dérision par les discours gouvernementaux, relayés par les grandes chaînes de médias. La culture n’est pas une priorité car l’expérience « d’être vivant » n’est pas une priorité. Pour le gouvernement, la vie se mesure par l’accumulation. Il faut avoir un certain type de famille, tel nombre d’amis et telle quantité d’argent... L’expérience de se sentir vivant, n’est pas une évidence. Pour moi, c’est une expérience discontinue qui peut passer par l’art, la mobilisation, une rencontre, un paysage... et qui se ressent. La vitalité des gens est une sorte de pollution, un problème, pour les membres du gouvernement. Au lieu d’en faire le cœur de leur politique, de permettre à cette expérience d’être la plus répandue et la plus démocratique possible, ils chassent cette vitalité.
Ne trouvez-vous pas que le milieu de la culture « se tient sage », lui aussi ?
Gisèle Vienne : « Les rapports de pouvoir dans la culture sont permis par la grande fragilité et précarité de ces métiers. On ne cesse de dire qu’il y a de la place pour tout le monde, que les femmes peuvent créer, que les « minorités » – qui n’en sont pas toujours – peuvent créer, que des formes réellement subversives existent… mais on leur accorde systématiquement des budgets plus petits. Pour ne citer qu’un exemple, certains de mes collègues masculins, qui n’ont objectivement pas la même expérience que moi, bénéficient de plus de moyens pour créer. Ces inégalités passent par l’essentialisation de ce qui structure le système patriarcal, notamment l’essentialisation des différences de sexe et de genre. Aujourd’hui, je vois une société patriarcale et misogyne, dirigée par une politique qui ne remet pas fondamentalement en cause son système, et dont le désir de parité semble de ce fait hypocrite. Ce contexte culturel défavorise, à la base, la diversité au sein de la création. Les logiques qui génèrent ces inégalités sont connues et ont permis de nombreuses réflexions. Les prises de consciences sont là et on peut se réjouir de cette grande avancée de la pensée. On souhaite maintenant une politique en phase avec ces évolutions enthousiasmantes. Les réponses apportées restent encore en surface, alors que c’est tout le système qui doit être remis en question.
Ruth Vega Fernandez : « Par qui et pour qui est fait l’art ? Cette question se pose de façon cruciale en France, plus qu’ailleurs en Europe. Je suis espagnole mais j’ai grandi en Suède. C’est en venant en France à 17 ans que j’ai découvert la culture théâtrale française, éminemment bourgeoise. Ça se joue dès l’école. J’ai fait une école nationale : nous étions seulement deux à être issus des classes dites ouvrières, j’étais la seule immigrée. Dans d’autres pays, il y a des aides économiques pour aider les minorités ou les classes populaires à entrer dans les écoles d’art. Des bourses et des prêts en Scandinavie, du mécénat au Royaume Uni par exemple. Cela empêche la sur-représentation des classes supérieures. Je me prends en exemple puisque j’ai pu faire ces études supérieures grâce à un prêt étudiant. Je mesure donc le privilège d’avoir eu accès à des moyens pour entrer dans une sphère culturelle qui ne m’était pas destinée. Cela aboutit, en France, à une culture monolithique. Si l’on veut que toutes les strates de la société puissent s’exprimer sur scène, pas seulement grâce à un accident de parcours ou à un entêtement démesuré, pas seulement dans un underground minuscule, il faut une politique culturelle qui commence dès l’école. Comment voulez-vous amener les gens au théâtre avec des pièces d’auteurs dont les préoccupations n’ont rien à voir avec les leurs ? Dans leur grande majorité, les programmations s’adressent exclusivement aux classes moyennes et bourgeoises. Ou alors c’est du « théâtre politique »… C’est une stratégie consciente, une manière de cantonner la pensée à un endroit. Et aussi de garder une culture qui ressemble à ces classes politiques. Une culture qui est donc moins subversive, où la part contestataire reste extrêmement marginale, et plus effectivement obéissante.
L’underground ne suffit plus ? Gisèle, vous continuez pourtant à créer dans des lieux alternatifs, comme à La Station à Aubervilliers.
Gisèle Vienne : « Je viens de la culture alternative. Même si on joue aujourd’hui dans les plus grandes institutions artistiques du monde, c’est essentiel pour moi de rester présente dans ces lieux contestataires. Ils sont magnifiques, produisent énormément d’intelligence et de créativité, politique comme artistique. Mais d’une certaine façon, ils font partie du système : c’est bien pratique pour le gouvernement, qu’on y aille et qu’on y reste. C’est la réponse d’avant. Je n’ai plus envie de critiquer le système à la périphérie, d’être à l’endroit de la contestation autorisée.
En parallèle, le théâtre ne s’est jamais autant revendiqué comme « politique » dans les programmes de saison des lieux ou dans les thèmes abordés par les pièces.
Adèle Haenel : « C’est l’idée que c’est le contenu qui est politique dans l’art. Que l’art serait seulement une façon d’enrober un message de sucre pour qu’il passe. Résultat, la mission culturelle se double de plus en plus d’une mission éducative. Depuis que j’ai le droit de vote, les gouvernements successifs n’ont fait que dégrader les conditions de l’enseignement public. Dans le même temps, il est de plus en plus demandé aux artistes de faire de la pédagogie, selon l’idée que l’on pourrait dire la même chose, pour moins cher, et en plus faire rigoler les enfants. La mission éducative de la culture n’est pas l’enjeu central de l’art. Selon moi, l’enjeu politique de l’art se situe surtout dans la subversion du regard, dans le fait de « remplacer les évidences par des questions brûlantes ». Parce que ça me semble être ça, l’ordre. L’ordre du silence. Qu’est-ce qu’on est censé voir ? Qu’est-ce qu’on est censé entendre ? Comment est-on censé dire telle chose ? La façon dont on naturalise certains types de perception est une question de pouvoir. Pour moi, être politique au théâtre, c’est justement déboulonner cette naturalité. En dépriorisant certaines informations – la parole vis-à-vis du texte, le texte par rapport au sous texte, et en dessous du sous texte, le cri de l’encore inexprimable –, Gisèle parvient à incarner dans l’espace des choses qui sont habituellement rendues muettes. L’enjeu c’est d’explorer non pas ce que l’on n’a pas encore vu, mais ce que l’on ne voit pas dans ce que l’on regarde.
Gisèle Vienne : « À travers l’art que l’on défend, on invite – consciemment ou pas – à écouter ou ne pas écouter, à faire parler ou à faire taire. Dans le champ du théâtre, de manière inconsciente pour certains et de manière délibérément politique pour d’autres, il existe un rapport qui maintient la hiérarchie du texte sur le sensible. L’art, dont le théâtre, se doit d’être l’endroit où l’on dissèque les signes, leurs articulations, tout ce qui fait notre perception. Où l’on peut faire vaciller la réalité construite, une pseudo-réalité, produit de la création partagée de la représentation de la réalité, qui va de la norme sociale à la construction même de notre perception.
Ruth Vega Fernandez : « C’est vrai que le théâtre français est particulièrement cérébral et bavard… C’est bien aussi une façon d’exclure l’expérience de ceux qui ne seraient pas à même d’entendre ces textes. D’exclure ceux qui seraient sensibles à d’autres expressions, d’autres émotions moins cantonnées à la tradition du texte.
Gisèle Vienne : « Certains de nos collègues parlent d’un « théâtre de texte » et d’un « théâtre sans texte ». C’est absurde en réalité, mais justifié selon un ordre de perception choisi. Ça me semble très grave d’un point de vue culturel et politique... On classe souvent mon travail dans le champ du théâtre sans texte ou dans celui de la chorégraphie. Visiblement, on ne veut pas – ou l’on n’arrive pas à – voir et entendre tous les textes qui se déploient dans mon travail. Je travaille depuis 18 ans avec l’auteur Dennis Cooper. Son écriture, dans le cadre de nos créations, n’a été que très rarement commentée, sauf peut-être pour Jerk (2008). Parce qu’il y avait plus de texte ? Trois mots, prononcés en une heure, peuvent être plus important qu’une heure de parole. Quels sont les textes que l’on écoute, lit et commente ? Qu’en est-il de notre capacité à lire les matières, les images et les corps ? Tout ce qui se passe et se lit en dehors du texte audible. Il y a différentes strates de paroles : ce qui est audible, ce qui est formulé, ce qui l’est moins mais reste audible, tous les textes non audibles que portent les corps, les sons – dont le silence –, le mouvement et les images. Il me semble absolument essentiel de travailler sur des formes qui nous permettent de développer notre écoute et notre compréhension du sensible. Il s’agit aussi de laisser la parole aux corps et aux émotions. De penser le développement de notre intelligence en prenant en considération celle du corps, ainsi que son rapport subversif à l’autorité et aux jeux de domination issus de la norme, dont il peut souffrir. De comprendre davantage le rapport autoritaire qui peut exister entre les systèmes cognitif-rationnel et physique. En désamorçant ce rapport d’autorité, c’est à travers ces dialogues avec le corps et les émotions que nous pouvons développer nos connaissances.
On ne parlera du silence que si c’est le sujet de la pièce ?
Gisèle Vienne : « Le silence est le sujet de toutes les pièces. Si l’on s’intéresse à la parole, l’un des enjeux centraux est de s’intéresser au silence. C’est amputer l’écoute que de ne pas écouter le silence, ce qu’il y a en-dessous, au-dessus des textes audibles, ce qui va résonner derrière. Je ne suis pas née avec cette idée, il s’agit d’un processus de déconstruction culturel que je traverse en permanence, et de manière très forte, à travers l’expérience de la création. Mais effectivement, comment développer – dans le travail artistique et dans le partage avec les spectateurs – notre acuité à lire ce qui n’est pas donné culturellement à lire ou ce qui est dénigré dans la hiérarchie des perceptions ? Ces choses que l’on ne va pas regarder, ou beaucoup moins, voire même que l’on va critiquer en disant qu’elles « brouillent » la pureté de l’écoute de ce qu’il faut regarder et écouter. La question du silence rejoint aussi celle du mouvement : pourquoi bouge-t-on, pourquoi ne bouge-t-on pas, et de quelle manière ?
Votre manière de ne pas hiérarchiser les informations dans vos pièces a aussi pour conséquence de laisser le sens relativement ouvert.
Gisèle Vienne : « C’est très rassurant, en tant que metteur.e en scène, de rester dans un travail précis et monomaniaque, en serrant les vis. Je peux avoir cette tendance. Mais je crois vraiment que la difficulté et la beauté de ce métier, c’est d’ouvrir ses visières et de se laisser dépasser. Il y a nos questions, nos idées, nos intuitions, ce qu’on aimerait faire, ce qu’on aimerait enclencher, mais il y a aussi notre capacité à nous remettre en question et à faire avancer notre réflexion dans le processus. Il y a toujours ce fantasme rassurant de contrôle, mais pourtant, la chose qui m’intéresse le plus, c’est celle qui m’échappe et me dépasse dans la mise en scène. En l’occurrence, Ruth et Adèle, les phénomènes qui se déploient sur scène et autour, dépassent le projet. C’est toujours le cas, dans toutes les pièces et dans tous les films. Mais ça témoigne d’un rapport au monde : veut-on coincer le monde, le maîtriser et le dominer ? Ou préfère-t-on le regarder, le comprendre et dialoguer avec ? Je suis plutôt pour la seconde option.
Adèle Haenel : « Ce n’est pas seulement théorique, ça se répercute dans la répartition des tâches. Cela permet au travail de création de ne pas être fondé sur des rapports de subordination. Gisèle crée une langue via des qualités de mouvement, d’écoute, d’immobilité, de placement dans l’espace – et propose de jouer sur le champ du niveau d’incarnation. Et ensuite, à l’intérieur, c’est nous, les actrices, qui faisons varier la mélodie. Il y a une vraie liberté créatrice.
Cette liberté, on la ressent aussi en tant que spectateur. Face à vos spectacles, nous sommes moins invités à recevoir un message qu’à se créer notre propre chemin à travers la pièce.
Gisèle Vienne : « Nous baignons dans une culture où lorsqu’un film se conclut par une réponse, nous sommes satisfaits et rassurés. Les résolutions ou les vérités qui concluent les formes narratives mainstream et les discours politiques génèrent une satisfaction physique. On est culturellement très orientés vers ce type de satisfaction. Pourtant le doute, la réflexion et l’incertitude peuvent aussi générer de la jubilation, du plaisir et de l’intelligence. Il me semble essentiel, dans la création artistique, de privilégier ces formes-là. Faire une pièce, c’est une réflexion. Mais quel est le sens de la réflexion si on connaît déjà la conclusion ? Le processus de travail me permet de réfléchir, de comprendre, de découvrir et d’articuler des pensées à travers les phénomènes et l’expérience sensible. Et j’espère que les interprètes, comme les spectateurs lorsqu’ils traversent la pièce, ont aussi la possibilité d’être dans ce processus.
Ruth Vega Fernandez : « Avec les premiers spectacles de Gisèle, j’ai eu l’impression d’être dans un rapport absolument non-consumériste à ce que je voyais. Un vécu émotionnel très fort, en même temps trouble et éclairant. Une exploration. Une impression d’être dans un espace philosophique de questionnements qui rendent l’expérience impossible à capitaliser. Un dialogue ouvert. Un travail, un processus de pensée en cours. C’est déconcertant, bouleversant et aussi d’une infinie richesse. On a davantage l’habitude d’avoir un rapport de consommation à un objet culturel fini. Quelque chose qui rassure et apporte des réponses claires. Même dans la critique.
Dans L’Étang, vous donnez vie à plusieurs personnages avec vos corps, Ruth et Adèle, mais aussi par le truchement de poupées qui sont sur scène. Comment avez-vous abordé le jeu ?
Ruth Vega Fernandez : « La question n’est pas que chaque interprète ait plusieurs personnages. C’est plus compliqué. Nous avons bien sûr travaillé la voix comme un outil musical, mais aussi toute une gamme d’incarnation et de désincarnation : parfois on raconte l’histoire d’un point de vue omniscient, puis un tout petit morceau de l’histoire à travers un personnage, puis encore autre chose. Ça varie tout le temps, c’est fractionné. Cette interrogation est au cœur du travail.
Adèle Haenel : « En peinture, en littérature, la façon dont on a représenté le « je » a complètement explosé, par exemple avec le Nouveau Roman. Un personnage n’est plus représenté toujours par la même unité, et le narrateur n’est plus toujours un être omniscient. Dans le jeu, c’est comme si toutes ces évolutions de la représentation ne pouvaient pas avoir lieu parce qu’on avait uniquement à voir une matière évidente, naturelle : une personne. Je trouve intéressant de faire exploser l’unité du personnage, et de jouer sur la façon dont, par exemple, les éléments qui le construisent, cohabitent plus ou moins harmonieusement.
Gisèle Vienne : « Notre idée de l’être humain est culturellement construite. J’ai toujours trouvé fou, voire violent d’arrêter l’humain aux contours stricts de son corps. Une personne, c’est aussi son environnement : elle est faite de ce qui l’entoure et fait ce qui l’entoure. Comment s’articulent dans le présent ce que je pense, ce que je vois, ce que j’ai rêvé, mon souvenir, le souvenir qui se construit, ce qui résonne du passé, du présent anticipé ? Et comment peut-on, sur scène, inventer des formes pour développer notre conscience et notre connaissance de toutes ces couches qui font l’intensité de l’expérience du vivant ? L’idéal normatif tente de rendre invisible les mécanismes sociaux d’intériorisation des identités, en les naturalisant. On peut avoir l’ambition que l’acte théâtral, par sa théâtralité même, en révèle au contraire l’artifice. L’objet est notamment de susciter ce mouvement – provoqué par la conscience et la possible écoute de soi – qui mène vers une identité mouvante et non définie, à mon sens bien plus proche de notre réalité. Il convient de comprendre le rôle que nous jouons, que nous sommes amenés et même forcés de jouer, à dessein de découvrir la nécessité de le déconstruire, pour mieux atteindre le mouvement qui construit notre identité.
Adèle Haenel : « Ce que Gisèle travaille, ce sont les premières évidences d’un plateau : l’espace et le temps. La distorsion de l’espace-temps via une certaine qualité de mouvement, pour parler de ces émotions qui justement distordent l’espace-temps ; cette évidence qui a été structurée par le monde économique à travers la façon dont on va rentabiliser les minutes ou avoir son espace à soi. Les émotions que Gisèle travaille parlent de ces multicouches de réalités mais aussi de la manière dont elles se simplifient dans la sensation d’êt
Photographie : Estelle Hanania
L’Étang raconte l’histoire d’un adolescent qui teste l’amour de sa mère en simulant un suicide. Cette histoire résonne fortement aujourd’hui, en rappelant que le foyer est loin d’être un endroit de sécurité pour tout le monde.
Gisèle Vienne : « C’était très curieux de travailler cette pièce pendant le premier confinement. L’Étang, c’est bien une boîte blanche dans laquelle les personnages sont enfermés. La pièce met en scène toute la manière dont le système sociétal est imprimé dans notre chair, à travers la structure des rapports déjà créée dans la famille ; le modèle intime qui fait que cela va s’ancrer dans notre éducation sensible et affective. Je ne l’ai conscientisé que progressivement, mais la structure de la famille – avec un papa, une maman et des enfants – je ne l’ai jamais vue autrement que dysfonctionnelle. On sait très bien que les violences conjugales, l’inceste et les viols ne sont pas l’exception et font partie d’un système. Mais même sans ces faits-là, même dans sa banalité, la structure familiale reste violente. Demander à tout le monde de rester chez soi en supposant que la maison est un havre de paix et d’équilibre, c’est faire rentrer dans les sphères privées ce qu’on ne veut pas voir dans les sphères publiques. Il y a des gens à qui on a envie de dire : « Sortez de chez vous, partez loin ! »
Adèle Haenel : « Révéler l’ampleur des violences domestiques est subversif. Avec le nombre de témoignages qui apparaissent depuis #metoo, ce qu’on perçoit clairement c’est qu’il n’y a aucun havre de paix pour les femmes dans une société structurellement sexiste.
Propos recueillis par Aïnhoa Jean-Calmettes & Jean-Roch de Logivière
> L’Étang de Robert Walser, mise en scène de Gisèle Vienne avec Adèle Haenel et Ruth Vega Fernandez, du 10 au 18 décembre, Centre Pompidou, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris.
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