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Et si la puissance magique transitait par la musique ? C’est l’hypothèse qui trotte en tête alors qu’une mélodie s’y est durablement installée au sortir de Encantado, la dernière création de la chorégraphe brésilienne Lia Rodrigues. Tout avait pourtant commencé dans le silence : des silhouettes en noir déroulant sur la grande scène du Théâtre National de la Danse à Chaillot un long et large patchwork de couvertures colorées, fleuries, mouchetées de motifs léopards ou tigrés. Un corps nu s’avance alors qu’un premier son se fait entendre : lointains frissons de maracas semblables au chant des cigales. Façon Boléro de Ravel, cette musique répétitive s’étoffera tout au long de la pièce par des chants, paroles, pincement d’instruments à cordes et mélodies magnétiques.

La feuille de salle nous apprend que ces mélodies sont celles du peuple Guarani Mbya du Brésil, et plus précisément du village de Kalipety du territoire indigène Ténondé Porã. Mais aussi, qu’elles ont été chantées devant la cour suprême de la capitale Brasilia en août dernier lors de manifestations massives, les plus grandes jamais organisées au Brésil par des peuples autochtones. Les 170 tribus y réclamaient la protection de leurs terres ancestrales, mises en danger par les lobbys agricoles et leurs méthodes de déforestation massive, largement encouragés par les politiques de Jair Bolsonaro1. Chargés de revendications pour préserver des conditions de vie vivables, à l’heure d’une crise sanitaire, politique et écologique majeure, il est donc difficile d’ignorer la puissance de ces chants. Et sur la scène, cette musique-là agit comme un sortilège.

 

© Sammi Landweer

 

Joyeux sabbat

Traduit du portugais au français par « enchanté » Encantado désigne aussi une autre réalité qui a inspiré la chorégraphe et sa troupe de Maré, une favela de Rio de Janeiro, lors des mois de création en pleine pandémie. Les « encantados » sont des entités mystiques de la tradition afro-brésilienne qui voyagent de site en site, pour transformer les milieux et éléments naturels en lieux sacrés. Alors que la musique ensorcelle la scène, les corps des onze danseurs nus, semblent s’en emparer pour devenir ces êtres-là : ils s’enroulent dans les couvertures, grandissent leurs fesses, grossissent leurs ventres, se transforment en sirènes, vieillards, monstres immenses ou bourgeoises en robes bouffantes. Leurs visages se tordent de grimaces, frôlant par moment l’art du masque. C’est ainsi que plus d’une heure durant, on assiste, médusés, à un sabbat survolté et joyeux.

Connaissant le contexte – la politique destructrice de Bolsonaro, la disparition des écosystèmes de la forêt amazonienne, la non-gestion de la crise sanitaire qui a fait plus de 400 000 morts au Brésil – on pourrait se dire que cette joie communicative n’est ni plausible ni possible. Pourtant, les Brésiliens d’Encantado se tiennent là, avec la musique comme courroie de transmission pour enchanter les peurs et désamorcer la terreur. C’est justement la promesse militante – et brillamment tenue – que nous avait fait Lia Rodrigues avant même que ne résonne le premier chant.

 

 Encantado de Lia Rodrigues

⇢ les 3 et 4 octobre à la MC2, Grenoble

⇢ les 12 et 13 octobre à la Comédie de Valence

⇢ les 16 et 17 octobre au Quai Cndc, Angers

⇢ du 30 novembre au 2 décembre au Théâtre National de Bretagne, Rennes, dans le cadre du festival TNB

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