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Vous vous situez au croisement entre musique, mise en scène et chorégraphie, on pourrait dire que vos spectacles sont des paysages sonores. Comment définissez-vous votre pratique ?

« Pour moi, le son est toujours un point de départ de l’écriture scénique. Souvent, je travaille avec des procédés sonores qui deviennent des cadres d’improvisation pour les interprètes. Un procédé sonore ça peut vouloir dire plein de choses. Par exemple, pour La Mélodie des choses, ma création précédente, on a fait des interviews [notamment à propos de sons ordinaires et musicaux - Nda] et c’est avec un casque sur les oreilles que l’on énonce en direct cette parole sur scène. Avec Devenir imperceptible, on a travaillé plus précisément avec des micros piézos accrochés aux chevilles de l’interprète Pauline Simon. Ce sont de tous petits micros, pas chers du tout, qui s’activent au contact d’une surface, un peu comme un stéthoscope. Mais en réalité on n’entend pas seulement les sons qui viennent de l’intérieur du corps, le craquement d’un genou ou d’une cheville, mais surtout l’ensemble des frottements, les résidus des gestes. C’est assez bruitiste et extrêmement relié à ce qu’on voit. On a un peu de mal à savoir si c’est le corps qui produit le sonore ou si c’est une bande son sur laquelle l’interprète se cale.

 

Pour cette nouvelle création Devenir imperceptible, vous avez imaginé et construit un instrument : « l’engoulevent ». Qu’est-ce que c’est ?

« Je suis aussi instrumentiste, je joue du saxophone et globalement j’aime bien souffler dans des trucs. Il y a longtemps, j’ai fait quelques tests avec des flûtes à bec et un sèche-cheveux pour créer un instrument à vent automatisé. Puis, plus récemment j’ai découvert le travail de Ragnhild May, une artiste danoise exceptionnelle qui travaille avec des flûtes. L’engoulevent est inspiré de tout ça. C’est un instrument à soufflerie qui détourne l’orgue d’église. Il a une sorte de ventilateur à moteur très silencieux, car spécialement conçu pour les orgues, puis un gros tuyau qui achemine l’air vers une petite boîte hermétique, percée de 24 sorties pour 24 notes. La moitié de ces sorties sont reliées à des appeaux, ces petites pièces de bois utilisées pour imiter les oiseaux, et l’autre à des tuyaux d’orgue d’église que j’ai chiné à droite à gauche. Pour construire cet instrument, j’ai fait appel à Léo Maurel un luthier expérimental qui travaille à Strasbourg et j’aimerai par la suite que l’engoulevent puisse s’utiliser en dehors du spectacle. Par exemple, j’ai très envie de faire un disque spécifique !

 

 

« L’engoulevent » c’est aussi le nom d’un petit oiseau. Pourquoi ce parallèle ?

« Je suis un grand passionné d’oiseaux. Enfant, je rêvais même de devenir ornithologue. L’engoulevent c’est un oiseau qui a une drôle de tête, il se camoufle en imitant les branches d’arbre. À la tombée de la nuit, il fait un chant particulier, un peu étrange, qui ne semble pas vraiment naturel. En l’occurrence ce que je fais avec l’instrument de musique ne fait pas du tout ce son-là. Mais ce nom m’a toujours plu. Il contient le mot « vent » et je le trouve très agréable à dire, c’est presque gourmand. Dans le spectacle, on retrouve la présence des oiseaux, avec les appeaux, et des références qui ont infiltré la pièce sans que cela ne soit trop démonstratif. J’ai par exemple récemment découvert les oiseaux de paradis, les mâles construisent des architectures incroyables pour attirer les femelles et ils ont des comportements qu’on pourrait qualifier de danses. La pensée de Vinciane Despret auteure d’Habiter en oiseau m’a aussi accompagné, tout comme son dernier ouvrage Autobiographie d’un poulpe1. Elle cite régulièrement Mille Plateaux des philosophes Deleuze et Guattari. C’est un ouvrage que j’ai lu il y a cinq ou six ans, que je n’ai pas vraiment compris mais dont certains passages sont aujourd'hui devenus forts, presque limpides. Le titre Devenir imperceptible vient d’un chapitre de ce livre qui appelle à devenir intense, devenir animal, devenir imperceptible.

 

Justement, comment devient-on imperceptible ? Avez-vous physiquement, comme l’oiseau, expérimenté le camouflage ?

« Toute une partie de la pièce se passe dans la pénombre. On travaille avec l’idée de disparaître, de se cacher, comme dans un jeu ! Dans l’obscurité on ne sait pas quel est cet être sur le plateau même si on se doute bien qu’il s’agit d’un humain. C’est une pièce très paysagère, assez picturale, j’aime l’idée que le corps puisse par moment s’abstraire. Mais ce n’est pas évident car lorsqu’on voit un corps, on s’attend à ce qu’il bouge. J’essaye donc de trouver des manières de faire comprendre au public que par moment il va se passer moins de choses, et que c’est tout à fait ok. Je suis souvent très minimal dans mes créations : plus je fais et plus j’ai envie qu’il y ait peu. Je viens de sortir un disque sous le pseudonyme de Sarah Terral et je me suis astreint à enlever du matériel sonore pour avoir moins de possibilités. Paradoxalement, c’est grâce à ça que j’ai fait plus de musique. Pour moi, moins c’est mieux, mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a rien.

 

 

Devenir imperceptible de Clément Vercelletto p. Hélène Robert

 

La scène de Devenir imperceptible est jonchée d’éléments naturels. Quel environnement avez-vous construit avec Bastien Mignot, chorégraphe qui a signé votre scénographie et avec qui vous partagez une structure associative commune « Les sciences naturelles » ?

« Lors d’une de ses performances appelée La terra es un astre, Bastien a déposé sur le sol un cercle parfait d’écorces de pin, ce bois qui sert à pailler les plantes avant l’hiver. On a récupéré la scénographie de cette œuvre et on l’a complétée avec du raphia et de la sciure. Ce sont des éléments qui rappellent la terre, le nid, le sable et un petit peu la forêt. C’est une abstraction, une sorte d’habitat pour humains ou animaux. Cet espace est activé par la danseuse, mais s’active aussi tout seul comme pour se rappeler que parfois, on pas tellement besoin de nous, que l’humain pourrait s’abstenir d’agir sur son environnement. Tous mes travaux parlent de la perception et du sonore, c’est très empirique et c’est une base d’écriture qui permet d’aborder plein de thématiques : l’écologie, le genre, les oiseaux, qui sont très présentes sans qu’elles ne deviennent jamais le sujet.

 

Qu’est-ce qui spécifiquement vous intéresse ou vous touche lorsque vous écoutez un son ?

« J’aime quand un son n’est pas univoque, que l’on ne sache pas exactement de quoi il s’agit si on en voit pas la source. Cela produit des imaginaires amples, évocateurs, qui m’intéressent. J’écoute beaucoup d’ethnomusicologie, je collectionne des vinyles d’anthropologues qui sont allés enregistrer des sons de terrain, des musiques, des langues, les bruits, le quotidien. Ces enregistrements sont à la fois très beaux et très voyeuristes. Car toutes ces collectes sont souvent liées aux colonisations, aux pillages, même sonores, de pays et de populations. J’aime essayer de comprendre ces enregistrements, entendre les musiques qui sont faites pour des contextes particuliers, des fêtes initiatiques, des mariages, des rituels. On s’aperçoit que la musique est complètement inscrite dans la vie. J’ai appris les percussions traditionnelles du peuple Malinké, d’Afrique de l’Ouest, à l’ENM de Villeurbanne. Mais je me suis rendu compte que j’apprenais une musique complètement déconnectée de ma manière de vivre et de ce pourquoi je la jouais. J’ai alors arrêté mais j’ai continué de l’écouter et elle continue de beaucoup m’émouvoir. »

 

Propos recueillis par Léa Poiré

 

1. À lire : entretien avec Vinciane Despret par Aïnhoa Jean-Calmettes dans Mouvement n°105 : http://www.mouvement.net/teteatete/entretiens/vinciane-despret

> Devenir imperceptible de Clément Vercelletto les 1er et 2 octobre au TJP de Strasbourg dans le cadre du festival Musica ; le 4 mars au Théâtre d’Orléans ; les 17 et 18 mars au Subs, Lyon, dans le cadre de B!ME, biennale des musiques exploratoires ; en mars à La Soufflerie, Rezé

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