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Ses souliers légers claquent sur le carrelage de marbre froid de l’église parisienne Saint-Merry et sa posture élancée embrasse l’obscurité. D’un « Come on ! » sonore, sourire espiègle au coin des lèvres, Sina Saberi allège la charge gothique de l’endroit. En répétant l’injonction, cette fois sur le ton de l’invitation, l’assemblée se lève, se presse et se resserre autour du petit cercle de lumière blonde qui éclaire un plat en métal argenté sur lequel trônent sept petits bols aux contenus colorés.

Les pompons de sa tenue blanche se balancent, les franges perlées cliquettent lorsqu’il s'accroupit près de nous. « C’est assez persan ? C’est assez exotique pour vous ? » en quelques mots, le chorégraphe déjoue la gêne et peut se lancer dans sa performance : l’exécution respectueuse des gestes ancestraux et artisanaux de la préparation du thé. Faire de la cérémonie du « damnoosh » une chorégraphie est un discret manifeste dans un pays où l’acte de danser en public est encore prohibé par la loi islamique de 1979. Damnoosh donc, se faufile entre l’interdit et l’air de rien semble définir ce qui fait une chorégraphie.

 

Passer à l’heure du thé

Assis sur ce sol glacé, les spectateurs attentifs sont pendus aux lèvres du danseur qui jalonne sa préparation d’énigmes et de devinettes à la manière d’un poète, conteur d’histoires ou professeur de géographie. « Reconnaissez-vous cette odeur ? » l’hôte porte à notre nez le petit bol d’acier duquel se dégagent les notes fruitées et suaves de fleurs d’oranger séchées. « Les graines de coriandre sont apaisantes, on va en mettre beaucoup, on en a besoin » jette t-il d’un air désinvolte en garnissant sa théière argentée de ce remède contre la brutalité.

Avant de nous faire goûter aux saveurs safranées du thé, le danseur se remémore un enchaînement de mouvements qu’aurait fait sa grand-mère : brisure de hanche d’un côté, arrondi des poignets de l’autre, et frappes au sol. On se dit que tout ceci aurait pu verser dans l’anecdotique, le superflu. Mais en soupesant ses mots, ses gestes et ingrédients, le chorégraphe a trouvé la recette de sa danse dans la justesse d’un mélange et d’une attente, dans la précision d’un dosage, par la valeur d’une pincée, toujours en équilibre sur la crête pourtant ténue du « ni trop, ni trop peu ». Pour faire chorégraphie, a-t-on besoin de beaucoup plus que de cette saine simplicité ?


> Damnoosh de Sina Saberi a été présenté le 28 mars à l’église Saint-Merry dans le cadre du festival Artdanthé ; les 5 et 6 avril à la Raffinerie de Bruxelles, dans le cadre du festival Legs de Charleroi danse, les 22 et 23 mai à la Dynamo des banlieues bleues dans le cadre des Rencontres chorégraphiques de Seine-Saint-Denis

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