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Naturellement, certains trouveront toujours à chipoter la marchandise : le parti pris chronologique du récit, en contradiction avec le principe du compositeur John Cage - compagnon et collaborateur du chorégraphe - de situer une création non par rapport à un progrès linéaire mais à un espace ouvert ; le côté lisse des images contemporaines, la joliesse de cartes postales stéréoscopiques trop belles pour être vraies ; la sensation qui résulte des prises de vue plongeantes ou des travellings-avant et arrière d’appréhender un monde de poupées ou de soldats de plomb ; la période considérée, limitée à trois décennies, de 1942 à 1972 soit entre la naissance de la troupe, la formation du couple artistique Cage-Cunningham et la retraite des interprètes historiques à la fin des sixties ; ou encore la frustration d’être privé de chorégraphies majeures, qui plus est de danse pure, absolument abstraite, produites avec la troupe renouvelée des années 70 où brillait notamment le danseur Robert Swinston.

Nous avions découvert la réalisatrice et ex-monteuse Alla Kovgan en même temps que le film Nora (2008), un magnifique portrait de la chanteuse-performeuse Nora Chipaumire coréalisé avec l’un des plus grands auteurs de films de danse actuels, David Hinton. Par conséquent, n’avons pas été surpris par la réussite de son opus sur Cunningham. Ici, la tâche était considérable. Non seulement du fait de la technique 3D qu’il a fallu maîtriser, les nombreux lieux de tournage, l’aller-retour entre le passé et le présent, entre les archives visuelles en noir et blanc et celles, de nos jours, en HD couleur. Mais aussi, parce qu'il a fallu jongler entre les pistes vidéo et la bande-son avec les voix d’outre-tombe des principaux protagonistes, Cage et Cunningham.

 

 

On pensait avoir vu toutes les archives relatives au chorégraphe avec les films Cage/Cunningham (1991) d’Elliot Caplan et Merce Cunningham, Une vie de danse (2000) de Charles Atlas. Mais nous avons encore été étonné par les découvertes de la réalisatrice et de ses documentalistes dans la masse de films appartenant au trust Cunningham et des bandes d’amateur confiées sans doute par ses plus anciens danseurs, Carolyn Brown, Viola Farber, Valda Setterfield et Gus Solomons Jr. 

Parmi ces trésors, un court métrage produit en Belgique - que nous avions retrouvé en son temps - Music Walk with Dancers (1960) qui contient le duo Suite for Two, est intelligemment utilisé par la réalisatrice. Tantôt, il est cité pour sa valeur historique : une véritable « performance » au sens actuel du terme, c’est-à-dire à un « happening » ou « event » du mouvement artistique des années 60' Fluxus, sous influence Dada. Tantôt, Suite for Two est utilisé pour la qualité de la composition pianistique de John Cage, fondue-mixée à l’œuvre telle que reprise par les jeunes danseurs du film.

Deux pièces, pour ne pas dire « ballets », se détachent du lot. D’une part, RainForest (1968), récemment remontée avec brio par le Ballet de Lorraine, avec les fameux oreillers gonflés à l’hélium inspirés à Andy Warhol par Salvador Dali, efficacement captée par des caméras au ras du sol, éclairée en clair-obscur avec de forts contrastes. De l’autre, Summerspace (1958), scénographiée par Robert Rauschenberg dans l’esthétique pointilliste d’un Paul Signac, avec un effet de camouflage entre le cyclo et les interprètes vêtus d’académiques mouchetées évoquant de faunesques pelages.

 

> Cunningham de Alla Kovgan, sortie en salles le 1er janvier

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