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Un immense nuage de fumée blanche engloutit la « huitième merveille du monde ». C’est l’effondrement de la barre des Gentianes dans la partie Nord des Hauts Asnières, les Mourinoux, raconté par ses habitants. En plein été 2011, les résidents en colère voient disparaitre un de leurs repères de toujours. Avec cette scène inaugurale, composée d’images d’archives captées par les premiers téléphones capables d’une telle prouesse, le vidéaste Rayane Mcirdi place Le Croissant de feu sous le signe de la nostalgie. « Ils nous ont mis à découvert. » « Les Gentianes, ça nous protégeait du reste du monde. » Refonte de la voirie, modernisation des logements, les services publics rêvent d’un Grand Paris comme un gamin s’amuserait à faire la ville Playmobil de ses rêves. Les citoyens sont dépossédés, peu importe leur attachement au quartier.


Pour raconter les plans d’urbanisme qui frappent les périphéries parisiennes et la gentrification rampante qui l’accompagne, Rayane Mcirdi choisit la polyphonie. Cette pluralité de points de vue structure ses films depuis sa sortie des Beaux-Arts d’Angers en 2015. En compilant expériences intimes et anecdotes locales, des bancs d’Asnières au Théâtre de Gennevilliers, le jeune vidéaste prolifique fabrique une fresque vivante dans laquelle, guidé par le feu de l’amour et de la colère, il imagine un futur pour le territoire de son enfance.


Dragon Ball Z


« Le quartier, il a pas de barreaux, (…) pourtant on reste. » Barrière protectrice pour certains, lourde porte qui scellait la cité pour d’autres, plus d’une décennie après leur destruction, les Gentianes habitent encore la mémoire locale. Sur des chaises pliantes, un trio imagine des plans d’évasion. Pourquoi ne pas tout quitter pour l’Islande, la Thaïlande ou le bled ? Autour d’une table, un petit groupe joue aux cartes. Deux générations partagent leurs souvenirs et avancent des hypothèses sur l’inertie qui les empêche. Ensemble ils se souviennent des glaces à l’eau comme de la désertion des assistantes sociales. Et tous sont hantés par le même dilemme : comment sortir de ce quartier sans le trahir ? Empêtrés dans leur loyauté, leurs conversations révèlent avant tout un amour fou pour ce territoire dans le territoire et la grande famille qu’il abrite. Sous la couette, lové dans ce monde autonome, deux amis se surprennent à rêver d’une intervention magique, une transformation surnaturelle de l’ordre de celle qui fit basculer Son Gohan en Super Saiyan dans Dragon Ball Z.


Camera ultra discrète, plans fixes, un réalisateur silencieux et invisible : le dispositif du Croissant de feu est un réceptacle. Explorant les contrées entre fiction et documentaire, Rayane Mcirdi pense un film pour ouvrir la voix. Parce qu’il est plus que temps de conter ces destins français fréquemment ignorés, la caméra se tient à l’écoute, attentive. Si l’on devine les fils que tire hors champs le vidéaste, le script reste mouvant, en permanence ouvert à l’improvisation authentique. Stratège, Rayan Mcirdi pense des formes hybrides à la fois assez proches du réel pour rendre compte d’une expérience de la périphérie et suffisamment maîtrisées pour éluder les stéréotypes. Son cinéma nouveau-né rappelle déjà celui de l’illustre Chris Marker avec lequel il partage la même fascination pour un passé à jamais révolu.


> Le Croissant de feu de Rayane Mcirdi, 2021 du 21 au 23 avril à Sur les bords au T2G, Gennevilliers ; sur Tënk jusqu'au 19 mai 2023 

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