Panopticon de George Sikharulidze – 2024
Au cœur d’un quartier prolo de Tbilissi, le grand taiseux Sandro passe à l’âge adulte dans la douleur. Fervent orthodoxe, l’apprenti footballeur refuse de consommer avant le mariage et fait la morale à sa petite copine ou à qui veut l’entendre. Pourtant, en secret, le jeune homme a la foi en berne, renifle les dessous de la mère de son pote et zyeute lourdement les filles dans les transports. Pendant ce temps, la jeunesse qui l’entoure s’enivre de nationalisme et son père part en retraite monacale. Pour son premier long métrage, George Sikharulidze relie turbulences hormonales et crise culturelle mais se sauve du didactisme par quelques coups de grâce. Des séquences quasi-ASMR de coiffure ou de shampoing d’abord, entre Sandro et la mère de son ami, dont l’une, clin d’œil cinéphilique quelque peu appuyé, se déroule face aux Quatre-cents coups de Truffaut dans un salon de HLM géorgien. Ailleurs, c’est ce dialogue de regards, chargé de défiance ou de pitié, entre le jeune homme et son père lorsque ce dernier entre dans les ordres. Enfin, c’est cette ultime pirouette émancipatrice qu’exécute le stoïque Sandro, et qui boucle la métaphore foucaldienne que file le filme dès son titre : celle du fameux panoptique, ce dispositif de surveillance à 360° que prend pour exemple le philosophe français. Il est ici conscience individuelle, jugement divin, contrôle social – jusqu’à ce qu’on s’en libère. Et qu’importe si « la visibilité est un piège », comme le soutenait Foucault.
⇢ le 26 mars, 13h30
Family Therapy: Redemption for beginners de Sonja Prosenc – 2024
Cela n’a échappé à personne : le démontage en règle de la famille nucléaire bourgeoise est porteur au cinéma. Au point que peu de cinéastes résistent à rejoindre le jeu de massacre. C’est au tour de la Slovène Sonja Prosenc de s’en donner à cœur joie dans le bien nommé Family Therapy, son troisième long métrage. Le topo est simple : Maman est une artiste frustrée, Papa un auteur raté et leur fille blasée a la santé fragile. Le trio emménage en pleine nature dans une forteresse au design immaculé lorsque le père rattache au foyer son premier fils, qu’il connait peu. Partant, les idéaux du bonheur à l’occidentale s’écroulent et les pulsions se déchaînent. Collant aux angles de la glaciale demeure qui lui sert de cadre, Family therapy fusionne deux classiques de l’étude de mœurs : Teorema (1968) de Pier Paolo Pasolini, pour sa structure immorale, et, plus récemment, Snow therapy (2014) de Robin Öslund, entrepreneur en chef de la misanthropie contemporaine. Les recettes et le ton de ce dernier contaminent d’ailleurs toutes les situations de cette comédie cassante dans lesquelles éclatent une à une les névroses d’un patriarcat gauche et triste.
⇢ le 28 mars, 19h
No Dogs Allowed de Steve Bache – 2024
Comment traiter d’un sujet impossiblement hardcore sous une forme inoffensive ? Pour son premier long métrage, l’Allemand Steve Bache a relevé le défi et on lui en sera gré : aborder aussi crûment la pédophilie dans une œuvre plus sophistiquée aurait été intolérable – et No dogs allowed l’est déjà à bien des égards. Dès ses trente premières minutes, le film expose la relation entre Gabo, quinze ans, torturé par son attirance pour les enfants, et Dave, la quarantaine, confident qu’il a rencontré en ligne et qui le manipulera à des fins sexuelles. Ajoutez à cela que l’adolescent est troublé par le petit frère de l’un de ses potes, que sa mère est socialement instable et que le tout va virer au polar. Casse-gueule, n’est-ce pas ? Sauf que Steve Bache désarme par la simplicité et la franchise de son traitement, là où d’autres ont usé de sarcasme sur le même thème – on pense à Todd Solondz et son cultissime Happiness (1998). No dogs allowed préfère affronter les contradictions du désir, de l’éveil sexuel et de la honte en se concentrant sur les dynamiques intérieures de son protagoniste, soulignées par une photographie sobre et interprétées avec nuance par Carlo Krammling – qui avait vingt ans sur le tournage. Un petit tour de force, malaisé et malaisant, à rapprocher d’un autre, récent également : Manticora (2022) de Carlos Vermut, qui, coïncidence, use aussi du médium de la VR pour suggérer le pire des tabous.
⇢ le 28 mars, 15h30
Le festival Music & Cinema, du 24 au 29 mars à l’Artplexe, Marseille
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