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Dans un quartier populaire de la toute jeune démocratie tunisienne, Mouemen et ses parents vivent sur le fil. Sa mère Amel, ouvrière textile, tente d’amadouer un homme influent afin d’obtenir une place pour son fils dans un club de football renommé du pays. En une soirée, l’équilibre précaire de la famille vacille : le supposé bienfaiteur se révèle en agresseur et c’est Amel que la police des mœurs condamne pour adultère. À sa sortie de prison, elle n’aura qu’une idée en tête : retrouver son fils, égaré dans les marges de la société tunisienne.


À contre-courant du misérabilisme propre à un certain cinéma maghrébin, pour exorciser la douleur, les personnages d’Amel et les fauves dansent toute la nuit. Piercings, tatouages et cheveux bleus, le corps cristallise tous les enjeux pour qui veut épouser la modernité. Avec ce second long-métrage, Mehdi Hmili s’attache à raconter avec subtilité la fracture entre les jeunes de la génération post-Révolution de 2011 et celle de leurs parents. Contusions, lèvres fendues, vomi et drogues dures : c’est aussi le corps qui affronte toutes les adversités. Il se fait même monnaie d’échange. Ici, le sexe s’achète, l’alcool coule à flot et la morale traditionnelle semble n’avoir aucune prise. Largement autobiographique, le film dresse le portrait à la sulfateuse d’une société bicéphale qui tente de se décider sur le chemin à prendre.



Stratégique, Mehdi Hmili évite l’écueil orientaliste en filmant une ville nouvelle et ses boîtes de nuit les plus fréquentées. Aucun plan sur la médina, les barres d’immeubles qui apparaissent à l’écran datent de peu. La foule des clubs est libre et mélangée, Amel et les fauves raconte une jeunesse queer, connectée mais désemparée dans un pays où les homosexuels encourent une peine pouvant aller jusqu’à trois ans de prison ferme. Comment, dans une démocratie, l’État peut-il à ce point contrôler la vie des gens ? Malgré la révolution, « corruption morale », « atteinte à la pudeur » et « adultère » sont des chefs d’accusation trop souvent entendus dans les cours de justice tunisiennes. Dans l’écrasante majorité des cas, les femmes sont a priori jugées coupables. Face à face dans le bureau du commissaire, les versions de l’employée d’usine et de l’homme d’affaires en costume ne pèsent pas le même poids. Habilement, Mehdi Hmili expose un état de droit à deux vitesses et ose dévoiler la corruption de la police des mœurs.


Tour de force du jeune réalisateur, la société tunisienne représentée dans Amel et les Fauve est loin de paraître étrangère ou exotique pour le spectateur international. Alors que nos démocraties européennes font face à une montée de l’autoritarisme et des idées réactionnaires, le film interroge. Quels sont les fondamentaux qui forgent une démocratie ? Comment résister aux coups de boutoir des franges les plus conservatrices ? Quels sont les abus de nos propres fonctionnaires de police ? Effet miroir, c’est le paradoxe et la magie de se voir si bien raconter une société qui n’est pas la sienne.




> Amel et les fauves de Mehdi Hmili, en salle le 26 avril

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