CHARGEMENT...

spinner

New York. Janvier 2017. Pour sa première conférence de presse en tant que président des États-Unis, Trump entasse des documents censés prouver qu’il a abandonné le contrôle de ses affaires à ses fils avant sa prise de fonction. Derrière, le drapeau américain flotte tel un rideau de théâtre. Seul bémol, les journalistes ne sont pas autorisés à ouvrir les dossiers pour vérifier ce qu’ils contiennent. Une scène que Thomas Demand s’empresse de représenter à son tour, selon son rigoureux processus, toujours le même depuis une vingtaine d’années : d’abord il construit une maquette papier – échelle 1/1 –, ensuite il en fait la photographie. La maquette est jetée, l’image (Folders, 2017) fait œuvre.


C’est par le coin de la feuille que Thomas Demand, quinquagénaire discret formé à l’Académie des Beaux-Arts de Düsseldorf, attrape l’histoire. Les photographies grand format – 4 x 3 mètres pour certaines – exposées au Jeu de Paume, dans cette première grande monographie qui lui est dédié en France, sont autant des clichés de notre époque à ses instants parmi les plus critiques (l’avion utilisé par Jean-Paul II pour se rendre à Berlin après la réunification – Gangway, 2001–, la salle de contrôle de la centrale de Fukushima Daiichi après le tsunami – Control Room, 2011). En traduisant en maquette papier des images sur-médiatisées du monde, l’artiste amorce un changement de perspective dans notre regard : au lieu d’imperturbables forteresses, nos sociétés apparaissent comme des châteaux de cartes fébriles, sur le point de s’envoler.



Vider la corbeille 


Le tapis de sol est encore froissé. La baignoire à ras bord d’eau. Pourtant, la salle toute carrelée que reproduit Thomas Demand dans Bathroom (1997) est vide de toute présence humaine. Ici, il reproduit avec exactitude une photographie de presse, celle d’un ministre allemand au cœur d’une affaire de chantage politique et sexuel, Uwe Barschel, retrouvé mort dans sa baignoire en 1987 sans que l’on sache s’il s’agissait d’un suicide ou d’un meurtre. Dans sa reconstitution, le sculpteur-photographe allemand évacue le corps pour rendre le tableau moins pathétique mais plus anxiogène, comme l’impression d’assister aux premières minutes d’un épisode de Navy NCIS. Le décor est planté. Nous contemplons donc le simulacre d’un de ces fameux leaks, ces petites fuites (en l’occurrence, une simple photographie de presse), à la source d’énormes scandales, et surtout capables de déstabiliser l’échiquier politique.


Du sol au plafond, la scénographie en papier peint – conçu par Thomas Demand – reproduit un empilement de casiers gris, ceux d’un commissariat ou d’un tribunal, contenant d’éventuels documents compromettants. Ce motif de l’archive est déjà là, en ouverture de l’exposition, avec l’œuvre justement nommée Archive – image d’une pièce pleine à craquer de boîtes de cartons gris qui contiendraient les bobines de Leni Riefenstahl, cinéaste attitrée du troisième Reich. Thomas Demand s’intéresse moins aux événements qu’aux supports de leur enregistrement (négatifs, journaux, images télévisuelles), maintenant un terrible écart entre la froideur de ses clichés – figés, dépourvues de présence humaine – et le drame qu’ils représentent.


"Gangway", Thomas Demand © Jeu de Paume


Faux et usage de faux


Côte à côte, des piles de post-it, des téléphones fixes, des enveloppes et des lampes torches. Ce n’est pas n’importe quel bureau qui est reconstitué dans Poll (2001). Thomas Demand, en contemporain de l’événement, reproduit un bureau de Floride où eut lieu le recomptage des bulletins de votes dans la très contestée élection opposant George W.Bush à Al Gore en 2000. L’artiste réaffirme sa fascination pour le trucage politique tout en soulignant la place centrale du papier – ici, un petit bulletin de vote – dans la grande histoire, et son autorité politique dans nos sociétés.


Pourtant, ces empires de carton-pâte ne sont pas invulnérables et c’est peut-être ce qui pousse l’artiste à réaliser ces maquettes manuellement plutôt que de recourir à la technologie du deep fake. En s’approchant de ses photographies, on constate que l’image est imparfaite, granulée, revêche. L’artiste donne les clefs pour sortir du trompe-l’œil, l’inverse de l’imagerie médiatique, dépourvue d’aspérité, incontestable, qui endort le sens critique en maintenant l’illusion.  


> Le bégaiement de l'histoire du 14 février au 28 mai 2023 au Jeu de Paume, Paris

Lire aussi

    Chargement...