CHARGEMENT...

spinner

On se figure un savant fou un peu dandy du XIXème siècle, agenouillé dans la forêt, frottant entre ses mains la terre qui attire son attention, humant les champignons qu’il gratte à même l’écorce des arbres pour en consigner les étapes de décomposition et les odeurs dans un carnet de recherches. C’est le microbiologiste prussien Anton de Bary qui comprend rapidement que le vivant se développe et se reproduit autrement que par les logiques de parasitisme théorisées jusqu’alors. Son travail scientifique a défini le terme de symbiose : grâce à lui l’alliance entre une algue et un champignon est possible et la nature n’est pas qu’un champ de bataille du vivant. C’est ce processus qui se déploie à la surface de MycoStèle II (2023), une sculpture créée in situ par Côme Di Meglio. L’objet de près de deux mètres cinquante de hauteur à base de sciure, de paille ou de carton figure le cycle de vie de ces microorganismes qui ne cessent de s’assimiler les uns aux autres dans des gammes d’oranges et de jaunes ambrés. Repenser le cycle de la vie au niveau organique mais aussi esthétique — et donc politique, sous-entend l’exposition — est ce qui se dégage à mesure que l’on découvre ce paysage d’organismes et de minéraux s’accouplant entre les murs blancs du lieu d’exposition.


De la symbiose au "symbiosium"


Mais il ne s’agit pas seulement de matières fusionnant dans de monumentales sculptures composites, à l’instar de Grotto Table (2022) d’Alexis Deconinck, amusante table de laboratoire sculptée dans des roches fluorescentes. Fil rouge du projet, le néologisme « symbiosium » fait référence aux « symposiums » de l’époque antique, ces débats festifs mais érudits qui servaient d’afters aux banquets grecs. Ainsi Symbiosium – cosmogonies spéculatives est une proposition politique et esthétique plus qu’une exposition. Elle met en dialogue les processus observés par Bary à l’échelle des micro-organismes et du principe grec de création par l’euphorie de la conversation et du dialogue. Ici les œuvres s’animent par les voix et les corps, en podcasts ou en performances dans une temporalité proche d’un cycle intuitif croisant arts visuels et pensée, plutôt qu’une simple série d’œuvres à découvrir dans un espace. L’intellect s’y réalise par l’organique, siège de l’innovation chez les Grecs de l’antiquité comme chez les jeunes artistes. La Série Proliférations (2022/2023) de Laura Sanchez Filoméno est composée de 15 pièces confectionnées à partir de cheveux naturels et colorés sur soie. Vivrait-on mieux la déliquescence des corps humain, politique et esthétique, en l’accueillant ? Une joie de la dégradation s’impose ici comme processus créatif. Mieux encore : une communion des idées et du monde organique sous le signe du collectif et de sa détérioration annoncée. Voilà ce qui germe dans cette prolifération par le déchet que mettent en scène Filoméno et d’autres artistes de l’exposition.


Le Syobiosium du collectif Les Matribiotes @ Maurine Tric


Complices 


Certes rebattue, la question des liens qu’entretiennent corps et esprit refait surface sous une métaphore nouvelle : le fonctionnement biologique de la symbiose. Elle débouche ici sur un modus operandi comme esthétique du collectif non plus relationnel mais organique, que synthétisent les matières mousseuses et les plantes réunies dans Les cavités inaperçues protègent, la pulpe caressante s’accroche au participant engourdi (2023) de Luca Vanello. Notre décomposition collective devrait paradoxalement nous pousser à faire corps pour mieux l’observer à la loupe dans un geste de refondation du vivant à partir de ce qui définit son mouvement paradoxal : pourrissement et régénérescence. Un doux paradoxe que met savamment en scène l’œuvre SYMBIOSIUM (2022), signée du collectif Les Matribiotes. La sculpture à raz du sol invite à s’assoir autour d’un banquet imaginaire où l’on déguste des huitres noires en se désaltérant de potions à base d’agrumes sur un chemin de table en douce fourrure, le tout rappelant les surréalistes associations de Meret Oppenheim. S’allonger après avoir repensé le monde dans les vapeurs de boissons douteuses, laisser son corps reposer (ou pourrir ?) sur des coussins cousus main, donner place à la dégradation joyeuse des formes habituelles de l’exposition, en voilà une solution. 


> Symbiosium – Cosmogonies Spéculatives, exposition collective jusqu’au 6 mai 2023 à la Fondation Fiminco, Romainville

Lire aussi

    Chargement...