CHARGEMENT...

spinner

Il faut d’abord passer un portail sécurisé, zigzaguer entre les pavillons de l’hôpital psychiatrique Montperrin à Aix-en-Provence, avant d’arriver au 3bisf. Cet ancien centre d’internement de force pour femmes a été reconverti en centre d’art et de résidences d’artistes plasticiens et du spectacle en 1992. Passé l’aumônerie, au bout d’un long couloir courbé, on aperçoit un étrange monolithe. On s’approche pour découvrir, comme dans une clairière druidique, qu’il y en a quatre. Ce sont des canapés retournés à la verticale et coiffés de toiles de hamac fluos. L’effet de masse compacte épouse un mouvement plus aérien, la forme « érectile » une silhouette plus alanguie. Ces « sculptures paradoxales », comme les qualifie leur auteur Sergio Verastegui, posent les bases d’un scénario à mi-chemin entre un film de Kubrick et Lynch : Sont-ils tombés du ciel ? Sont-ils le signe d’un phénomène surnaturel ? Sont-ils en attente d’un déménagement ? Sont-ils des barricades ? Une fois planté bien droit, l’objet accueillant, domestique, horizontal par excellence, devient étranger voire hostile. Le sofa, au cœur du soin thérapeutique, se refuse au « patient ».


Aux murs, sont affichées des pages du journal Les Échos blanchies et recouverte de croquis de canapés de type « dessins de téléphone ». L’artiste a choisi de laisser les deux autres pièces de l’espace de l’exposition, deux anciennes cellules individuelles, presque nues. Seuls deux vieux pots de peinture, laissés-là par les anciens résidents et reconvertis en abat-jour, diffusent une lumière orangée dans l'une, verdâtre dans l'autre. Une manière « ready made » d’inscrire le passage invisible des âmes qui ont transité dans ces lieux chargés. Une phrase aussi énigmatique qu’absurde, inscrite sur la paroi, clôt l’exposition : « I can’t read ».



Faire vaciller les clôtures

 

Ce décor spectral, qui semble en attente de personnages, se prolonge sur d’autres médiums : un recueil de poèmes que l’artiste, en plein déménagement, a écrit sur le coin d’une table de cuisine et un disque vinyle de « musique d’ameublement » qui hypnotise par ses distorsions électroniques. Dans ce jeu « d’échos et de rumeurs », cette manière de « révéler les potentiels narratifs d’un lieu », selon les mots de l’artiste, c’est aussi la notion d’autorité que Sofa poems remet en question. Habiter un espace ne signifie peut-être pas se l’approprier mais se laisser traverser par son histoire, l’artiste n’impose pas sa marque mais souligne une identité des lieux sans l’essentialiser : être spectateur ne veut pas dire absorber un univers mais y articuler son propre labyrinthe mental. Un renversement des hiérarchies qui fait lui-même écho aux origines du centre d’art, récemment labellisé d’intérêt national : selon la psychothérapie institutionnelle, mise en pratique par le psychiatre catalan, républicain libertaire, François Tosquelles, ce n’est pas le « patient » qui n'est pas adapté mais le corps social qui est malade. 


Il s’agit alors de « libérer » l’institution psychiatrique de sa dimension carcérale pour l’adapter aux existences singulières, refaire société en laissant une place et un rôle aux « psychotiques » et en confiant le statut de « soignant » à des personnes qui ne sont pas forcément issues du corps médical, tels que des artistes. Au 3bisf, on perpétue cette philosophie à travers des « sessions », des ateliers avec les artistes résidents auxquels « civils » et « patients » participent sans distinction. À partir des mots clefs de ses poèmes, Sergio Verastegui a proposé aux participants d’écrire leurs propres dérives imaginaires qu’ils enverront ensuite à leurs proches. Et voilà que Sofa poems prend des allures de cadavre exquis et, en infiltrant le circuit épistolaire, érode l’idéal pavillonnaire de la « modernité ».

 

Sergio Verastegui, Sofa poems, jusqu’au 28 août au 3bisf, Aix-en-Provence