« Je rêve de pouvoir quitter la France. » « Je rêve d’être le premier président noir. » « Je rêve de pouvoir voler dans le ciel. » Sur les murs d’une petite salle d’un collège de Montreuil, Céline Ahond a fait appliquer de la peinture verte. Devant ce faux fond de cinéma, un groupe d’adolescents aux regards taquins raconte ses aspirations. Dans le film Jouer à faire semblant pour de vrai, les jeunes participants manipulent la vérité, ravis d’avoir enfin un espace pour faire de leur existence des fictions déjantées et exploratoires. Pour tous ces adultes en devenir, l’œuvre forme une brèche, devient l’occasion de faire mentir une réalité sociale étouffante. Avec Quotidiens Communs, l’art se fait outil de tous les jours.
À bas le marché
Bataille, Président, Balle au prisonnier… À moins de fouiller du côté des jeux anarchistes interdits par la FNAC, quand on y réfléchit bien, rares sont les jeux de société qui échappent aux logiques bellicistes et répressives. Comme terrain d’expérimentation, Gabriel Fontana choisit les gymnases municipaux où il invente des projets sportifs destinés aux jeunes publics. Entre discrimination, harcèlement et culte de la performance, le sport à l’école peut se révéler cauchemardesque. Un pied en France et l’autre aux Pays-Bas, terre friande d'initiatives destinées à améliorer le bien-être des plus petits, l’artiste présente des extraits vidéos de Multiform (2019), un programme d’éducation sportive innovant, et une série de drapeaux utiles au projet Tournament of the Unknown (2021), où les enfants sont invités à subvertir les schémas sociaux. Bien loin des circulaires contre l’abaya ou du projet de Service National Universel, le projet artistico-sportif milite pour une éducation libre.
Bibliothèque participative de produits fermentés pour Eve Gabriel Chabanon et collection de musée fictionnelle dans The Public Art Center de Wesley Meuris, l’exposition invite ceux et celles qui ferment leurs oreilles aux sirènes néolibérales. Les œuvres sont des ébauches, montrées partiellement ou encore en phase de montage. Elles échappent aux règles du marché, le temps est à la collectivisation. Et pour cause, six des dix œuvres présentées dans Quotidiens communs ont pu voir le jour grâce aux Nouveaux Commanditaires. Ce programme réunit des acteurs de la société civile prêts à endosser la responsabilité d’une commande à un artiste contemporain à condition que les œuvres soient produites collectivement et déplient les enjeux de société liés au territoire où elles sont exposées.
Lost in Translation ?
Dans les rues et les locaux associatifs d’Aulnay-Sous-Bois, l’organisation pour la justice sociale La Révolution est en marche (LREEM) fait entendre sa voix depuis 2017. L’artiste Erika Roux filme les prises de parole des membres du groupe et en fait un film : Aujourd’hui, on est là (2021). À la Ferme du Buisson, il est projeté simultanément sur plusieurs écrans avec leur bande-son respective, laissant entendre « l'énergie militante » de ces rassemblements. Il devient difficile de distinguer le message politique du film, prisonnier d’une intention formelle. Dans ce brouhaha général (ménagé par des casques mis à disposition), qui parle ? Pour dire quoi ? Autant de risques qui accompagnent le statut d’artiste porte-voix.
Quotidiens Communs annonçait traiter des notions un peu esseulées du « vivre ensemble » ou de « l’éducation populaire », malgré tout, l’exposition réussit à faire émerger des œuvres capables de mettre en évidence les rapports de domination et les rouages de l’exploitation à travers des dispositifs artistiques élaborés. C’est d’ailleurs là où Franck Lepage, militant et théoricien du sujet, trace une ligne. Il faut apprendre à faire la différence entre « action culturelle » – et ses valeurs consensuelles (l’art, la citoyenneté, la diversité, etc.) – et « éducation populaire », force de frappe mêlant l’artiste au citoyen, dans une union éclairée.
Quotidiens Communs
⇢ du 8 octobre au 28 janvier 2024 à la Ferme du Buisson, Noisiel
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