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Violence partout, justice nulle part. Un rideau noir bloque le regard. Par où commencer lorsque l’on souhaite représenter la misogynie infiltrée dans l’ensemble des rapports sociaux ? L’exposition On mass hysteria / Une histoire de la misogynie plante directement le décor : le phénomène est si omniprésent qu’il est irreprésentable. Plongés dans le noir, il faudra donc marcher quelques pas et descendre au sous-sol du BAL pour approcher ce qui fait le sel du travail de Laia Abril, photographe, écrivaine et plasticienne espagnole née en 1986 : un assemblage de documents, de photographies et de films conçus pour confondre les violences patriarcales au sein des institutions médicales, éducatives et policières.


L’artiste déjoue toute représentation archétypale du corps féminin en ne faisant apparaître celui-ci qu’au travers des nombreux documents administratifs, médicaux, et journalistiques. Autant de comptes-rendus qui réduisent l’humain à sa « folie ». Ce phénomène est disséqué par une combinaison d’archives et d’images, faisant œuvre. Textes et photographies en noir et blanc de femmes effrayées, violentées, de patientes endormies, de salles de classe tirées au cordeau ou de radiographies médicales rappellent ce que peuvent exprimer les crises d’angoisse, de pleurs, et réactions maladives en tous genres : un épuisement de vivre contrainte et captive.



Vue de l'exposition On mass hysteria au BAL © Marc Domage



Laia Abril décode formellement cette structure oppressive en passant par le diagnostic pathologique. Son enquête débute en 2016, alors qu’elle effectue des recherches au Népal pour « Menstruation Myths » – une série photographique portant sur la l’invisibilisation des cycles menstruels. L’artiste tombe alors sur un article du Times of India titré « Des jeunes filles frappées d’hystérie collective dans une école népalaise ». En germe, l’idée que toute femme réagissant à une violence subie est jugée folle. Laia Abril considère ces réactions logiques et en remonte les mécanismes à travers l’histoire, depuis les contrôles exercés sur les corps des religieuses au XVIIe siècle, jusqu’aux épidémies de tics sur Tik Tok. On mass hysteria est la démonstration, visuelle et expérimentale, de la légitimité de l’hystérie.



Souris et tais toi 


Imaginée comme un traité féministe en trois dimensions, l’installation interroge la facilité avec laquelle nous éliminons les facteurs sociaux et politiques de la liste des déclencheurs de l’hystérie. Une pathologie identifiée depuis l’époque médiévale sous les termes d’« hystérie collective », « d’épisode de possession », ou de « mal mystérieux ». Les documents compilés exposent la violence sournoise de ce vocabulaire. Une série de dossiers, imprimés et collés aux murs du centre d’art en rang d’oignons, relate plusieurs cas pour en révéler la nature cruelle : l’oppression des femmes et de leurs corps est à la racine de ces « épisodes de folie ».



Vue de l'exposition On mass hysteria au BAL © Marc Domage



« On dirait que tes symptômes se manifestent moins. C’est sûrement parce que tu souris davantage », « elles s’évanouissent à cause de leurs sentiments », « elles portent trop de maquillage », peut-on lire en caractères majuscules rouges, apposés aux images – bouches hurlantes, scanners de cerveaux – illustrant des cas d’hystérie. Ces images ponctuent la déambulation dans le sous-sol, donnant une traduction visuelle à la recherche de Laia Abril. Plus loin, des haut-parleurs crachent des extraits de témoignages. Les photographies couvertes de lettres sanglantes, les témoignages et les preuves documentaires achèvent de renverser le stigmate. Une fois les escaliers remontés, on se rend compte qu’il est possible de passer de l’autre côté du rideau noir. Une installation vidéo y est projetée, montrant des manifestations féministes réprimées par les autorités à coups de matraque et de poings. Les cris, les pleurs, les crises d’angoisse et les douleurs relatées deviennent des ressorts de résistance face à une autre forme de folie : la violence d’État instituée.


On mass hysteria / Une histoire de la misogynie de Laia Abril, jusqu’au 18 mai au BAL, Paris

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