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Lausanne, 1962 : une cinquantaine d’artistes se réunissent autour d’une même pratique, le Fiber Art. L’enjeux pour les participants – dont Sheila Hicks et Magdalena Abakanowicz : émanciper l’art textile de la bidimensionnalité de la tapisserie et jouer avec les codes de la sculpture et de l’architecture. Problème : bien que l’événement soit bien accueilli, il ne suffit pas à installer ce que l’on nomme aussi « la nouvelle tapisserie » dans le champ de l’art contemporain, certains l’associant aux femmes et à des pratiques domestiques. Immense et méconnue à la fois, Olga de Amaral fait les frais de cette marginalisation, voire invisibilisation, de l’art textile. C’est seulement à 92 ans qu’elle bénéficie d’une rétrospective d’envergure en Europe, une bonne partie de ses pièces n’ayant jusqu’ici été montrée nulle part ailleurs qu’en Colombie, son pays d’origine. La maison de verre qu’est la Fondation Cartier confond intérieur et extérieur : un lieu propice pour ces sculptures textiles inspirées par les grands espaces sud-américains, si sensibles aux variations de lumière.


Force de la nature


Sept mètres de haut, huit de large : Le Muro en rojos (1982) occupe toute la surface d’une des façades de l’édifice. Ce sont des milliers de carrés de tissu, roux, oranges, bordeaux, jaunes, tuilés les uns avec les autres. Leur rythme descendant se conjugue avec un mouvement ondulatoire de gauche à droite. D’un seul regard, on embrasse cette pièce et les arbres à l’extérieur, qui rougissent, eux aussi, avec l’automne. Il y a ce qu’on voit et ce qu’on imagine : Une cascade ? Une mer brune ? Une forêt d’érables ? Un drapé baroque ? Chacune des œuvres d’Olga de Amaral est un effort pour tenir ensemble l’infiniment grand et l’infiniment petit. Comme Léonard de Vinci avec le sfumato, Olga de Amaral évoque l’horizon par le trompe-l’œil : rideau en dégradé de fils et de couleurs, sa série « Brumas » évoque les phénomènes météorologiques des régions à proximité de la Cordillère des Andes souvent plongées dans la brume. Mais au-delà de donner des envies de grand air à partir d’un travail à l’aiguille, Olga de Amaral et les tisserandes colombiennes qui travaillent avec elle affirment que cet art, trop longtemps minoré car associé à l’artisanat féminin, peut prétendre à la monumentalité.


Remonter le fil


Au rez-de-chaussée, dans une obscurité qui ne fait que mieux ressortir les œuvres éclairées et une mise en scène circulaire pensée conjointement par la commissaire Marie Perennès et l’architecte Lina Ghotmeh, une lune (Agujero Negro, 2016) et un soleil se font face. Les fils de ces deux pièces sont couverts de gesso, un enduit qui permet de rigidifier le tissu et de contrôler son tombé. Contrairement aux pièces plus anciennes de l’artiste, plus brutes dans leur conception, faites de textures rugueuses et épaisses, les œuvres des dernières années sont davantage géométriques. Cercles, triangles, losanges, carrés, deviennent des motifs récurrents – rappelant l’influence Bauhaus reçue au cours de ses années de formation à l’université de Cranbrook, dans le Michigan. Est-ce qu’avec le temps, l’artiste se tournerait vers une esthétique plus minimaliste ?



Le travail d’Olga de Amaral est le fruit d’un syncrétisme culturel, entre le constructivisme des États-Unis et les savoir-faire traditionnels d’Amérique latine, entre l’héritage des civilisations précolombiennes et l’esthétique des églises catholiques. En atteste l’usage qu’elle fait de l’or dans la série « Estelas » (1996-2018), parachevée pendant plus de vingt ans : d’imposantes stèles de coton recouvertes de feuilles du métal précieux, au point de paraître rigides. L’or, qui lui vient autant des civilisations préhispaniques – dont les Muiscas, une ethnie dont quelques représentants survivent grâce au métier de tisserand –, que des églises colombiennes aux autels fastueux et dorés – qu’elle visitait souvent avec sa famille catholique.



Si l’artiste coud ensemble civilisations passées et nouvelles dans des fresques textiles abstraites, c’est toujours tournée vers une forme de sacralité. Son or, comme ses cercles jaunes, est celui d’une présence solaire, d’une auréole sainte, d’une chaleur bienfaisante, parfois maculée de passementeries rouges. En s’achevant sur cette note lumineuse, l’exposition rend bien hommage à l’artiste pleine de vitalité qui continue de créer du haut de son grand âge.




Olga de Amaral, jusqu’au 16 mars à la Fondation Cartier pour l'art contemporain, Paris

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