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Gueules béantes, corps à l’arrêt, facture brute et sauvage incarnent une férocité amputée de sa puissance, comme figée par le présent : c’est au troisième et dernier étage du musée que l’on peut découvrir La Ventriloque rouge, installation monumentale constituée d’un amphithéâtre de bois grandeur nature habitée d’une vingtaine de chiens de terre rouge, symboles de la colère en Swati*. Telles d’innombrables gargouilles, tous ont les yeux rivés sur une figure centrale : Sophie. Pensée comme une entité tutélaire, cette dernière est vêtue d’une tenue dont le drapé semble mû par le vent. La saisissante beauté de la sculpture associée à la douceur du velours contraste avec l’âpreté de la boue. Teintée d’une aura chamanique, cette figure s’apparente à un gourou immobile mais sonore. Sophie est l’alter égo fictif que Mary Sibande met en scène lors de chacune de ses expositions. À cet archétype de la domestique noire de l’Apartheid, l’artiste prête une parole. Par-là, elle rend hommage à la destinée des membres de sa famille, employées de maison et aborde plus largement les ségrégations raciales subies par les femmes sud-africaines. À chacune de ses apparitions, Sophie évolue au gré de choix de couleurs et de symboliques. Ici le rouge imprime la marque d’une fureur sourde, en contraste avec la lumière tamisée et des jeux d’ombres chinoises. De cette atmosphère étrange nimbée d’une apparente douceur se détache l’empreinte d’une violence insidieuse, la canalisation d’une colère larvée mais non moins omniprésente.

 

Jusqu’à ce que s’effondrent mes veines…

L’entrelacement de l’intime et du politique traverse également le travail de Thameur Mejri. Au second niveau, trois immenses toiles, tendues au centre de l’espace, quelques peintures sur les murs, des œuvres encadrées sur un fond de filet de tennis ou réalisées in situ donnent le ton. Entre précision des traits et confusion des genres, l’artiste tunisien révèle l’extrême complexité des liens qui unissent les individus aux mécanismes de contrôle. Le plasticien investigue les paradoxes constitutifs d’une société tunisienne dont la révolution de Jasmin a marqué un tournant tout en laissant une situation politique s’enliser et pointe du doigt l’aliénation aux objets du quotidien. Des formes hybrides en mutation permanente jouent de contrastes avec des dessins réalistes figurant les étendards de la consommation capitaliste : chaussures, téléphones, crânes, caméras de surveillance, nombre d’éléments anodins prennent ici les atours de natures mortes fondues dans le mouvement de couleurs vives en aplats. Une puissante dynamique meut chacune de ses œuvres révélant autant de forces contraires. Par son vocabulaire pictural navigant entre hyperréalisme du trait et geste tremblé quasi enfantin, Thameur Mejri interroge le décalage entre le fait politique et la vie des citoyens.

 

Mary Sibande, La Ventriloque Rouge et Thameur Mejri, Jusqu’à ce que s’effondrent mes veines jusqu’au 10 juillet au MAC, Lyon

*Le Swati est une des langues d’Afrique du Sud

Crédits : Vue de l’exposition Thameur Mejri, Jusqu'à ce que s'effondrent mes veines (États d'urgence). Œuvre créé pendant sa résidence au Mac Lyon. Courtesy de l'artiste et Selma Feriani Gallery,Tunis/Londres. p : Blaise Adilon

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