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Niché au pied de la citadelle de Corte, le FRAC Corsica a retrouvé un nouveau souffle en confiant ses expositions collectives à de jeunes commissaires-artistes, encore étudiant.e.s pour certains. L’occasion d’un dialogue entre des générations qui ont plus souvent loisir de se chercher des poux. Aucun antagonisme pourtant entre les « anciennes » (Annette Messager, Isa Genzken, Laura Lamiel, Kinke Kooi, Dominique Gonzales-Foerster) et les « nouvelles » (Mimosa Échard, Anne Bourse, Gaëlle Choisne…), bien au contraire : on y décèle une filiation souterraine, une sororité à fleur de peau, une même conjuration du patriarcat, qui placent leurs œuvres en miroir à plus de trente ans d’écart. C’est aussi l’occasion de découvrir un vivier de plasticiens insulaires trop rarement exposés sur le continent. De la figuration allégorique (Lisa Signorini, Gaia Vincensini) à l’art vidéo (Agnès Accorsi, Antoine Viviani), c’est tout un pan de la création corse qui s’y dévoile.


Mémoire flottante


Qu’on ne s’y trompe pas : si la configuration de l’exposition, inspirée de la Womanhouse de Judy Chicago et Myriam Shapiro, fait appel à celle d’un appartement (chambre, salon, cuisine, salle de bain, jardin), c’est bien pour y projeter les tourments d’une intimité en proie à la pulsion consumériste et aux vertiges ontologiques qu’elle suscite. À l’intérieur domestique fait écho l’intérieur psychique, la plupart des pièces jouant de l’ambivalence entre dedans et dehors, intérieur et extérieur, enfermement et libération, aliénation et émancipation. Ce home pas si sweet devient le lieu où s’exercent les rituels privés et où se fossilisent des résidus d’existence. Générateurs d’utopie ou exutoires du « cauchemar climatisé », le lit, la baignoire ou le bureau servent de planches de salut pour recouvrir un imaginaire spolié par la société de consommation.


Hanté par une mémoire flottante et par les spectres du colonialisme, notamment à travers les installations de Ladji Diaby et Gaëlle Choisne, l’exposition nous invite à traverser des semblants de mobiliers, des objets fétichisés et des peintures fantasmatiques. L’oppression et la menace, toujours latentes, s’inscrivent au revers de la séduction formelle. Derrière la coolitude affichée ou simulée, un sentiment de solitude ressort de ces mondes sous bulle, qui protègent autant qu’ils isolent du monde extérieur. Quand ils ne s’avèrent pas dangereusement tranchants, à l’image des installations d’Antoine Donzeaud qui doivent autant au post-internet qu’à Support/Surfaces. Si l’on devait tisser un fil rouge, ce serait celui de l’utérus, tant ces « espaces du dedans » s’apparentent à des chrysalides – que ce soit la coquille d’escargot, l’œuf, le lit ou la toile d’araignée.


"Sans titre" de Ladji Diaby, "Crawling Shoe" de Schaubiz, "Who r u when no one is watching?" de Lisa Signorini et "Love moustiquaire" de Mimosa Echard  © Antoine Donzeaud



 


Secondes peaux


Dans l’installation It’s between me and God d’Emma Passera, des mains aux doigts crochus sont accrochées de part et d’autre d’une baignoire où surnage une chevelure filandreuse. Une scénographie macabre qui fait écho aux Gants Grimaces d’Annette Messager, tout en rappelant les visions spectrales de la J-Horror. Deux œufs translucides, dans lesquels sont figés des insectes, jonchent le sol et le rebord de la baignoire. Symboles de fertilité et de régénération ? Plusieurs pièces jouent ainsi de l’attirance-répulsion que provoque la collision entre un univers enfantin - régressif, pop et ludique - et une imagerie explicite liée au sexe, aux drogues ou à l’occultisme. C’est particulièrement frappant lorsqu’on tourne les pages d’un « album-souvenir » de Thomas Cap de Ville. Papiers d’emballage, polaroïds, stickers enfantins, seringues et plaquettes de médocs y sont collés à l’arrache comme les bribes d’une jeunesse passée, où la pop culture aurait percuté un cerveau sous psychotropes. Emprunté à un poème de Louise Bourgeois, le titre de l’exposition fait d’ailleurs référence au « trou noir du manque » - celui du ventre maternel comme celui de la toxicomanie.


Détournés de leur usage, les apparats liés à la mode et au marketing de la féminité sont associés aux fluides corporels et aux menstrues, qu’il s’agisse de la moustiquaire maculée de peinture rouge de Anne Bourse ou des mues déliquescentes de Mimosa Échard, pendues sur un porte-vêtements comme des secondes peaux. Voiles, tissus, sextoys et autres textiles en latex deviennent les supports d’une identité déconstruite. Du pain béni pour la psychanalyse ! Non moins préoccupée par la déconstruction du genre que ses aînées, la jeune Mathilde Schaub, alias Schaubiz, a disposé au sol des moulages en cire de talons aiguilles pour former la colonne vertébrale d’un reptile. Plus avant dans l’abstraction, l’installation Waterloo Martini de Dominique Gonzales-Foerster plonge une surface en linoleum dans une pénombre bleutée sur fond d’easy listening grinçant, interprété à la guitare par Xavier Boussiron. Deux autres pièces sonores, signées Inès Cherifi et Cherry B. Diamond, propagent d’une pièce à l’autre leurs résonances spectrales. À l’issue de la visite, une vidéo d’Agnès Accorsi montre une bimbo en bikini qui se promène sur la plage équipée d’une kalachnikov, tandis que résonne un vieux tube d’Adamo assimilant les femmes à des objets de convoitise. Autant de visions qui témoignent d’une reconquête de la féminité dans ce qu’elle a de plus subversive, à rebours des stéréotypes propagés par le mainstream. Vers un nouvel eldorado du désir ?


> Is something missing?exposition collective jusqu'au 17 juin au Frac Corse, Corte

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