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« Voulez-vous que je fasse apparaître un nuage ? », propose Guillaume Aubry, peu après nous avoir laissés entrer dans son atelier, à la Villa des Arts – bâtiment ancien abritant des logements et des ateliers d’artistes à deux pas de la Place de Clichy à Paris, sauvé in extremis en 2007 d’une reconversion en hôtel de luxe. L’artiste s’active entre différents modules qu’il a fabriqués, dévoilant les secrets de ses prochains tours : pour faire un bâton de pluie, il a inséré des lentilles corail à l’intérieur d’un grand tube en carton. Pour obtenir le bruit du tonnerre, il frappe sur une taule métallique en suspension. Et le nuage ? Rien de plus simple : un aquarium rempli d’eau bouillante, la fumée d’une allumette (pour le monoxyde de carbone), un couvercle sur lequel on dispose des glaçons et – Tadam ! – un cumulonimbus miniature se forme. 


Après une première conférence-performée dédiée au soleil (Quel bruit fait le soleil quand il se couche à l’horizon ?), et une autre consacrée aux photométéores (Les Météores), Guillaume Aubry, artiste, chercheur et architecte, continue d’explorer les firmaments. Grondement d’orage, averses, vents déchaînés, éclairs : dans le théâtre antique, les apparitions divines étaient toujours accompagnées de phénomènes météorologiques extraordinaires. Son nouveau spectacle, Deus Ex Machina, présenté à la fondation Cartier dans le cadre des soirées nomades nous attire dans l’œil du cyclone.



Quel bruit fait le soleil lorsqu'il se couche à l'horizon ?, création Nanterre-Amandiers, 2020. Photo : Martin Argyroglo



Dans ce nouveau spectacle, Deus ex Machina, vous faites référence aux premiers effets spéciaux de l’histoire. Qu’avez-vous trouvé dans vos recherches sur ces trucages des premiers temps ? 


Je n’ai pas vraiment dégoté de bouquins sur les effets spéciaux dans le théâtre antique – ce serait un livre à écrire. Ce sont surtout des bouts de blogs et autres sites obscurs qui m’ont aidé. À l’époque, on utilisait des boucliers pour renvoyer la lumière du soleil – c’est ce qui remplaçait nos projecteurs actuels. Moi, je me sers de la face dorée d’un réflecteur de studio photo que je porte à bout de bras. J’ai aussi construit une machine à vent. Pour ça je prends un rideau de douche trouvé sur LeBoncoin que je dévide contre une bobine, le frottement créé un son, plus ça va vite, plus on l’entend. Je n’utilise aucune mécanique, pas de pile, pas de moteur, pour être le plus proche possible des techniques anciennes.



La sobriété de moyen, c’est ce qui vous a séduit dans ces techniques anciennes ? 


J’ai eu un déclic bien avant de m’intéresser au théâtre antique. C’était il y a 15 ans, j’organisais une sortie avec des scolaires au Studio Besson où on a assisté au travail d’un bruiteur. Il devait rendre le bruit d’une cavalcade de chevaux. À l’image il y avait, je ne sais pas moi, 500 chevaux ! Et lui reconstituait le son de tous ces sabots avec seulement 4 bouts de bois ! En fait, j’aime beaucoup l’idée de faire des choses que ma petite-nièce de 6 ans pourrait bricoler. Il n’y a pas à s’excuser de faire avec peu, au contraire. Faire spectacle ce n’est pas nécessairement ajouter des rampes, des spots et des machines à fumer. Je n’ai pas honte de me situer dans la lignée des micromanipulations de Fred et Jamy dans leur camion. Quelque part entre C’est pas sorcier et téléachat.


Et je fermerai les yeux quand tu disparaîtras, commande publique pour la célébration du Centenaire de la Villa Noailles, inauguration juin 2024. Photo : Guillaume Aubry



Il y a un autre artiste adorateur du soleil et des éléments naturels d’envergures, c’est Olafur Eliasson. L’opposé en termes de démonstration de moyens… 


Ha oui, là il y a de la prod’ ! C’est justement ce qu’il y a de touchant – sans condescendance aucune –, dans sa pratique : tu ne peux jamais aussi bien faire qu’un vrai coucher de soleil [The Weather Project, 2003] ou une vraie cascade [Waterfall, 2016]. C’est un aveu d’échec permanent. Il y a quelque chose de semblable dans sa quête à celle de Sisyphe qui se frotte sans cesse à l’insurmontable. Personnellement, je me sens plus proche d’Ann Veronika Janssen, qui peut se contenter d’appliquer un film sur une taule. Ce sont ces micros-apparitions fragiles qui m’intéressent.  



Comment vous expliquez ce rapport de fascination au ciel que vous explorez dans vos trois derniers spectacles ? 


Dans ma thèse (Courser le soleil, 2022), je développe l’idée qu’un coucher de soleil, c’est l’horizon qui s’embrase. On a la même fascination que devant un feu, notre regard reste captif. Il y a quelque chose en nous de l’ordre de la pyromanie qui prend plaisir à voir l’horizon s’embraser. Un de mes postulats est qu’on s’est relevé sur nos deux pattes arrière, non pas simplement pour voir le prédateur arriver plus rapidement, mais peut-être simplement pour regarder l’horizon, profiter du spectacle du ciel avec une conscience esthétique.


C’est pareil pour la météo. Dans notre quotidien, on est obnubilé par ça : on parle d’un naufrage, d’un coup de tonnerre, du ciel qui nous tombe sur la tête. C’est inscrit dans notre vocabulaire. Dati qui débarque à la culture, c’est une tempête !



Il s’agirait davantage de crainte que de fascination ? 


Oui, j’avais sous-titré ma thèse « le spectacle du soleil comme spectacle de la petite fin du monde ». Lorsque l’on se retrouve face à ces phénomènes météorologiques, qui renvoient au temps long de la planète, ceux-ci nous font dézoomer de notre propre personne. Ça nous dépasse. Je trouve l’étymologie du mot sidération très utile pour parler de ça. Ce terme vient de sidus, sidéris qui signifie astre. Être en état de sidération, c’est appartenir d’un coup à un système et une logique qui te dépassent. En langage médical, on parle de sidération quand une personne ne sait pas comment réagir, parce qu’elle a subi un événement traumatique qui ne correspond pas à ses habitudes normales. Je m’étais amusé pendant l’incendie de Notre-Dame à faire des captures d’écrans de toutes les chaînes qui rediffusaient l’événement en live, Cnews, BFM, TF1… Tout le monde était sidéré. C’est le mot qui revenait : Stéphane Bern était sidéré, Brigitte Macron était sidérée, « sidération » en couverture de Libé. Et la sidération ce sont les astres. Il y a quelque chose de l’ordre de ce feu lointain qui nous règle.


Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas un flirt avec ces dangers-là (sinon il n’y aurait pas autant d’accidents de selfie à Étretat… on a tous envie d’être au bord de la falaise). Les récits des religions monothéistes sont truffés de traversée du désert, de montée des eaux, d’invasion de criquets… Ce sont autant de moments initiatiques, d’épreuves à surmonter.


Les météores, conférence-performance, création à La Pop, 2021. Photo : Ivan Mata



Travailler sur ce spectacle vous a-t-il aidé à dépasser la sidération à l’égard du changement climatique ? 


Pour reprendre le philosophe Geoffroy de Lagasnerie, je dirais, « comment penser dans un monde mauvais ? ». Comment on continue à faire des choses aussi futiles en apparence dans un moment, un contexte où tout nous appelle à être plus pragmatique ? Entre la guerre au Moyen Orient, la guerre en Ukraine… à quoi ça sert ? J’ai quand même l’impression que l’art est une forme d’action et qu’il a un rôle à jouer. La seule chose qu’il nous reste des grottes préhistoriques, c’est l’art pariétal. On a aucune idée de leur modèle économique, ce qui nous reste, c’est ça. Il y a des théories disant que les ciels de Van Gogh auraient été peints quelques temps après l’éruption du Krakatoa, qui a déchargé dans l’atmosphère une quantité énorme de cendres volcaniques qui rendaient les nuages nacrés au moment du coucher de soleil. J’aime me dire que les tableaux peuvent aussi être vus comme des traces probantes d’une activité du ciel.




Deus Ex Machina, conférence-performée de Guillaume Aubry, le 22 janvier à la fondation Cartier pour l'art contemporain, Paris