Expo vidéo au CWB : l’œil sous-marin

Comme le feu, qui ravageait Los Angeles il y a peu, l’eau est un acteur clé des catastrophes naturelles de l’époque : montée des eaux, inondations, glissements de terrain – il y a de quoi craindre. Cette dimension politico-écologique de l’eau n’est pourtant pas celle qui saute à l’esprit dans Soluble & Simulacrum, expo vidéo du Centre Wallonie Bruxelles. Ici le liquide est intime, trouble. Fluides et flux, corporels ou mutants, s’immiscent dans tous les recoins de cette cinquième édition de 25 Arts Seconde, qui met à l’honneur la production de films d’artistes. Alors, comme Ophélie, descendons en eaux troubles. 

Aliki Christoforou, Marée noire

Espace limite

En commençant par la fin : deuxième bâtiment, premier sous-sol, dans une petite salle de projection. Sous terre, de l’eau, comme le miracle d’une nappe phréatique. Sur grand écran, un film enchaîne des vues sous-marines de la Méditerranée d’un bleu intense, presque Klein. Pourtant, ces images signées Aliki Christoforou se brouillent quand un soluble noir envahit l’eau indigo – marée de pétrole ? L’eau opaque n’inspire plus confiance. Plonger dedans, c’est entrer dans l’inconnu. Dans Soluble & Simulacrum, on multiplie les va-et-vient entre le dedans et le dehors, l’intérieur et l’extérieur, comme une succession de naissances et de renaissances. Ainsi, de retour au premier bâtiment, où la majorité des œuvres sont présentées dans une ambiance tamisée, on traverse une forêt de lianes blanches : œuvre d’Aure Sakellarides justement nommée Cordon ombilical. Une régression infantile se met en route, jusque dans cette vidéo de Gabrielle Lerch, From liquid to liquid, qui montre un corps passif flottant dans une piscine : un autre type d’Ophélie, qui profite du beau temps et du ciel bleu. 

Aure Sakellarides, Strates de peau ©Reynald Alaguiry

Théâtre glissant 

La scénographie, résolument organique, ne prétend pas cloisonner les espaces. Au contraire, elle incite au passage. Du numérique à l’analogique par exemple, sans pour autant sortir la tête de l’eau. Avec sa toile Eaux troubles du lendemain, Carole Mousset plonge le regardeur dans un amas de formes humides. On croit reconnaître des tentacules emmêlés. L’artiste s’inspire de la myxine, sorte d’anguille de mer profonde, qui étouffe ses proies en générant une gelée transparente. 

Simon Petit Fort, Le poids des paupières closes chapter 2 - Latency Room ©SPF

À côté, un entrelacs de fils électriques a un effet d’analogie visuelle directe avec le tableau : c’est cette même forme, serpentiforme – que l’on retrouvait déjà dans les lianes ombilicales d’Aure Sakellarides –, qui nous poursuit. Ces câbles appartiennent à la Videosculpture XXVII, d’Emmanuel Van der Auwera qui assemble trente écrans rayés sur lesquels défilent des images illisibles de la prise du Capitole par les partisans de Donald Trump en 2020 : un virage extra-matriciel, une sortie dans le réel, froid, politique, mascu. Un moment menaçant de la visite qui est aussitôt sublimé libidinalement par Simon Petit Fort , dont l’installation nous ramène à une vision chaude et sensuelle : un espace dans l’espace, son installation est une chambre, un cocon dans laquelle un néon rose éclaire des objets réalisés conçus à l’imprimante 3D, et doté d’une grande sensualité. Pas de vidéo ici, l’imagination se charge seule d’activer mentalement ces formes suggestives.  

Sur un plan phénoménologique, l’élément liquide est celui de l’immersion – voire, de la submersion : on est « dans » l’eau, « dans » son bain. Tournée vers l’intime, l’exposition mise sur des œuvres très esthétiques et visuellement puissantes. Là où tant d’expositions vidéo s’avèrent redondantes ou inadaptées à nos rythmes d’attention, Soluble & Simulacrum nous retient du début à la fin, par une mise en scène du médium qui coule de source.

25 Arts Seconde : Soluble & Simulacrum, exposition collective jusqu’au 22 février sur un Commissariat de Stéphanie Pécourt avec la complicité de Sara Anedda, au Centre Wallonie-Bruxelles, Paris