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Une longue liane ocre, sobre et sans icônes, nous attend sous une verrière claire. Elle part du plafond puis se disperse au sol comme une flaque. Quelques fils au sol remuent quand on s’en approche. En quatre mois, l’artiste japonaise Masami a tissé ce grand Portail en fil de cuivre, alliant le land art, son « alter ego cosmique », et les pratiques ancestrales de tissage au Japon. Comme elle, les artistes invité·es à la Maif se sont creusé les méninges : comment représenter la nature sans l’exotiser ? Faut-il chercher à intégrer cette nature dans son travail artistique pour se détacher de tout risque d’anthropocentrisme ? En réponse, du blanc et du marron clair teintent tout l’espace : des grottes en briques disposées à même le sol jusqu’à une sculpture en forme d’oiseau suspendue en l’air, faite d’osier et de sel. Une palette de couleurs tout en camaïeu délicat pour se frayer un chemin dans les zones arides comme les plus calmes des environnements naturels.



Au MAIF Social Club, l’heure est donc venue de nous révéler un secret bien enfoui : le Chaosmos. James Joyce engendre le concept dans sa fable Finnegans Wake. Un néologisme qui en dit long : les scientifiques ont beau avoir réponse à tout, le cosmos reste cette nature lacunaire, instable, en devenir, que l’on ne peut s’approprier qu’à travers l’imaginaire. Un travail qu’a mené Justine Bougerol avec Materia prima (2025), structure ambiguë dans sa forme : petite montagne, sanctuaire ou caverne, l’installation ultra blanche s’étale sur le sol avec une entaille en son centre. Attirée par les scénographies théâtrales et les « espaces interstitiels », la plasticienne a pris le chaos au sens mythologique : un désordre à l’origine du monde. Plus on s’approche du trou, plus l’installation nous offre un moment de suspension dans le temps et de doute. D’ordinaire, la caverne de Platon représente l’illusion et l’ignorance, il faut en sortir pour saisir la « vérité » de l’univers. Ici, le paradigme fonctionne à l’envers : c’est en regardant à l’intérieur de cette grotte que quelque chose se passe, que « l’ailleurs funeste » se déploie, que le mystère se perce.



Chantier-cosmonaute


Plus loin, un autre espace immersif se compose de dizaines de petites boîtes sonores, suspendues par des fils quasi invisibles. En 2018, Félix Blume a enregistré, individuellement, 250 « voix » d’abeilles, en complicité avec un apiculteur. Les écouter est un prétexte pour leur rendre hommage, et exalter la dualité qu’elles incarnent : les abeilles ont toujours oscillé entre harmonie et chaos par la menace de leur extinction.


Logique systémique, Vincent Mauger / Fugacités, Arthur Hoffner (2024) © Jean-Louis Carli


« Si les humains prennent la planète comme terrain de jeu, faudra pas s’étonner que le chaos débarque » : voilà ce que l'exposition nous murmure en creux. Car c’est seulement dans l’urgence qu’on prend conscience des violences en cours d’humain à humain, de continent à continent. L’étrange Marcheur de l’espace planté face à nous au milieu de la pièce l’incarne sans détour. Le duo des Kongo Astronauts a conçu un cosmonaute de deux mètres de haut qui, au lieu de porter un logo américain sur le biceps dans un costume blanc impeccable, est sombre, couleur cendre, un poil rouillé sur le côté. Si l’on s’approche de plus près, des centaines d’objets électroniques composent le bonhomme. Ces déchets inutilisables, délaissés par l’Occident, ont été récoltés dans des marchés au Congo. Qui a le privilège d’aller faire un petit tour dans l’espace ? Combien de temps encore les « grandes puissances », après avoir colonisé la planète, viseront la conquête du cosmos, cette « autre » nature exotique, mystérieuse ? N’est-ce pas instaurer un nouveau chaos, ailleurs ?



Si les plasticien·nes contemporain·es proposent, avec Chaosmos, des hypothèses et des propositions de réparation autour du foutoir semé par les humains, les écrivains modernes préféraient la beauté de l’inconséquence. « Ce qui s’entrechoque et ce qui s’écrase, tout ce qui tombe au sol doit être oublié », écrivait James Joyce avec une désinvolture nihiliste. Face au chaos, l’angoisse attendra ?



Chaosmos, exposition collective jusqu’au 26 juillet au MAIF Social Club, Paris

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