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Hybride, la bâtisse dans laquelle se loge la Kunsthalle de Mulhouse, architecture de verre et de briques issue du passé industriel de la ville. Hybride, le travail d’Anne Marie Maes qui y est exposé : ici des peaux cuivrées – mues de serpents, cuirs desséchés ou épidermes d’aliens ? c’est à définir –, là des bassins remplis de décoctions abandonnées à une odorante fermentation, là encore des aquariums à ras bord de liquides peu ragoûtants. L’exposition Alchimia Nova est l’étalage des expérimentations d’un savant fou.


Ce cabinet de curiosités n’est pourtant que la partie émergée du travail à long terme de l’artiste belge. Anne Marie Maes croise biologie, art, jardinage et observation d’insectes – comme son Hortus Experimentalis, une série de ruches installée sur un toit bruxellois dont elle collecte les informations par capteurs intégrés. Attentive observatrice des microcosmes avec une préférence pour les abeilles, Anne Marie Maes fantasmerait-elle les capacités créatrices de ces bestioles, productrices de substances aussi étonnantes que du miel dont l’artiste parfume les salles d’exposition, et des architectures aussi complexes que celles des ruches, motif récurrent dans son travail ?


© Jean-Jacques Delattre


La nature, cette inquiétante étrangeté


D’illisibles images, plus ou moins nettes, parfois complètement floues, saisies avec une caméra microscopique, se profilent sur un écran en noir et blanc. On distingue une armature agressive toute en piques tel le dos d’un hérisson ou une planche à clou. Selon l’artiste, ces pointes menaçantes sont les poils d’une abeille filmée en infrarouge dans sa ruche. La nature est ici poussée dans son au-delà. Le petit insecte vulnérable, mis en péril par l’urbanisation, se fait créature robotique et menaçante. Dans une salle adjacente, la photographie grand format d’un exosquelette du même insecte – semblable à une feuille morte – nous rappelle sa fragilité. Dans son travail, le monde naturel redevient un inconnu : effrayant, indéterminé, il échappe aux tentatives de définitions et de domination humaine.


L’intervention de l’artiste dans ces processus créatifs est pourtant volontairement limitée. Pour réaliser ses Sensorial Skins – des carreaux de peaux à la transparence et à la couleur de l’ambre –, l’artiste laisse le microbiote faire œuvre : dans des bassins infuse un mélange de kombucha, de thé noir, d’hibiscus, d’orties et de bactéries activant une fermentation acide. Pour seul geste, Anne Marie Maes prélève la peau qui s’est formée à la surface au bout de quelques jours.


© Anne Marie Maes


Vers l’abstraction 


Où mènent toutes ces manipulations ? Anne Marie Maes ne force pas le message écologiste même si toutes ses œuvres célèbrent le vivant. Elle laisse plutôt l’opportunité au spectateur de redécouvrir le connu, la sensibilité s’affinant à mesure qu’on descend dans le micro. Ainsi ses Colonnes de Winogradsky, de simples plaques de verre rectangulaires qu’elle a recouvert d’un mélange d’eau, de nutriments et de terres prélevées dans les sols mulhousiens avec l’aide de Pierre Fechter, chercheur du CNRS de Strasbourg. Le liquide vaseux et odoriférant dessine un étrange paysage. Du protocole scientifique on débouche sur une œuvre contemplative, dont les strates rappellent les couches de peinture expressionnistes d’un Rothko.


> Anne Marie Maes, Alchimia Nova, jusqu'au 30 avril à la Kunsthalle de Mulhouse

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