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Sur une moquette rouge, des grappes de spectateurs sont agenouillés, des tiges métalliques plantés entre les dents. Dans la cale de la péniche parisienne la Pop, le dispositif qu’aménage Anne Le Troter se confond avec un rituel érotique. ASMR d’un nouveau genre, Racine, Pistil impose la proximité : là, au coude à coude avec d’autres utilisateurs, c’est en mordillant un roseau d’acier – la Pornoplante –, que nous parviennent des chuchotements lubriques par conduction osseuse. Pour l’hygiène, un morceau de bambou à usage unique est fourni. Ainsi le son circule jusqu’à l’oreille interne par vibration de la mâchoire. Utiliser sa bouche comme une oreille. Avaler le son. Ce n’est pas douloureux, on vous rassure, l’expérience est même plutôt tendre. « J’aime la pudeur qu’il y a dans ce moment, les spectateurs s’évitent tous du regard », s’amuse l’artiste.


Et pour cause, l’histoire diffusée est croustillante : un individu – le genre n’est pas précisé – subit une brutale maturation sexuelle. Entre ses jambes pousse un sexe. Sous les rayons d’un soleil de printemps, sa libido monte d’un coup, enclenchant une quête sexuelle où chaire et flore se mélangent, à la Robinson. Ce récit, la plasticienne sonore l’a rédigé et enregistré d’un jet, dans l’espace intime du lit, les draps sur la tête, lors d’une résidence à la Bergerie Nationale de Rambouillet en 2019. « C’est un lieu où l’on pratique l’insémination artificielle des bovins pour la consommation, décrit-elle. Je ne m’attendais pas à voir des fists de vache, cela a provoqué chez moi une réaction épidermique. Pour autant, j’ai été merveilleusement accueillie dans le lieu – j’aurais juste dû me renseigner un peu en amont. Cette Pornoplante, c’est une manière de dissocier la reproduction de la productivité. » En résulte une bande-audio haletante, cocktail de sensualité, d’absurde et de trash : contre toute attente l’aventure vire au scato – Bataille et Sade n’ont qu’à bien se tenir.


Anne Le Troter place depuis longtemps l’organe vocal au cœur de son cosmos – en 2019, elle collabore même avec des artistes ASMR. Une obsession pour la parole qui lui vient du temps où elle était enquêtrice téléphonique. « Ça pouvait être n’importe quoi : vendre des tapis, faire des sondages Sofres type ‘est-ce que Sarko est sympathique ?’, etc. J’étais payée pour dire des trucs : la voix comme outil du capitalisme », se rappelle-t-elle. À ce titre, Racine, Pistil échappe aisément à la mercantilisation du mot, sa seule fonction étant ici le pur plaisir de ceux qu’elle surnomme ses « écoutant.es ».


C’est d’ailleurs avec une certaine espièglerie que se déploie son installation dans l’espace de la Pop. Le titre convoque le floral et le « vivant », la forme est cosy voire coquette – canapé, moquette et bouquets de plantes sèches nous accueillent –, et l’attrait de l’interactivité opère. L’expérience ne devrait pas nous bousculer, peut-on croire. Pourtant, sans crier gare, Le Troter orchestre ici une scène d’une perversion toute cronenbergienne. Nous voilà parmi des inconnus à siroter une histoire de fluides qui tourne au sale pendant que, non loin, des enfants écoutent la leur, sages comme des images. Vision d’une micro-société biberonnée mais unie dans la communion de la chair et des sens. Qui dit mieux ?


Racine, Pistil d’Anne Le Troter, jusqu’au 30 juin à la Pop, Paris



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