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Communier ne signifie pas seulement recevoir l’hostie consacrée dans l’Eucharistie. C’est aussi s’unir à d’autres personnes par la pensée, dans le partage spirituel d’unité de temps et de lieu, c’est se sentir faire corps collectivement, l’expression partagée et expiatoire d’un rapport au monde – et nul besoin d’un lieu de culte pour cela. Voilà pourquoi le critique d’art, écrivain et philosophe Georges Bataille, dans Lascaux ou la naissance de l’art (1955), pense que l’art n’a d’autre origine que la fête. Les peintures rupestres seraient les traces de liesses enjouées, dont les êtres humains ont voulu marquer leurs murs, pour dire la joie qu’ils avaient à être là, tous ensemble.


Vue de l’exposition Calcomanías, Andrés Baron, Chapelle Saint-Jacques centre d’art contemporain, 2022. p.  François Deladerrière


Avec leurs parois propices à la projection des imaginaires, les cavernes feraient partie de ces lieux où l’on communie, notamment par l’art, en retrait de l’agitation extérieure. Peut-être les salles d’exposition sont-elles les grottes d’aujourd’hui. C’est là que certains témoins, les artistes, projettent des traces de ce qui constitue notre manière de faire société voire incitent à communier grâce à des objets. C’est en tout cas ce que suggère Calcomanías, solo show de l’artiste Andrés Baron présenté entre les murs du centre d’art de Saint Gaudens. Sous ses airs d’imposante grotte obscure plongée dans une pénombre d’aspect laiteux, baignée de rouge depuis qu’un des grands vitraux a été recouvert d’un filtre coloré, le lieu, aussi appelé Chapelle Saint-Jacques, associe lieu saint, espace rupestre et white cube. A l’entrée, une première vidéo, Grammars (2021), insuffle une aura extatique : une danseuse envoutée, coincée dans une cellule définie par le cadre de la caméra, nous rappelle nos mois de confinement, coincés entre quatre murs. Le temps a passé, les traces restent, et se projettent sur les murs de la salle d’exposition, comme des invitations au souvenir.



Grand-messe 


Mais cette danseuse nous met aussi en garde : la vidéo invite certes à penser l’emprisonnement, qu’imposent l’enfermement et par définition le cadre d’une caméra à son modèle, mais aussi celui que peuvent exercer les salles d’exposition, confinant les œuvres à ne renvoyer qu’à elles-mêmes, soit à l’autotélisme. La scénographie de l’exposition se présente comme une parodie de messe dominicale : on entre par la porte de la chapelle – les paniers de quête ont été remplacés par d’astucieux fascicules de médiation –, prêt à communier dans une grand-messe d’art contemporain, en vase clos. Le traitement de l’espace est solennel, les vidéos y sont savamment disposées : un grand écran de projection s’impose, tandis que de petits téléviseurs sont disposés au fond de la chapelle, et dans un recoin de l’absidiole. Habitué ou non, les codes sont connus et le contexte religieux les souligne.


Vue de l’exposition Calcomanías, Andrés Baron, Chapelle Saint-Jacques centre d’art contemporain, 2022. p.  François Deladerrière


Au fil des vidéos, le mythe de l’union, lisse et homogène, s’effrite, tout comme l’idolâtrie. Andrés Baron s’attache à découper le réel en toutes petites portions, façon origami. Il fait de l’anecdote son sujet pour mieux identifier celle-ci comme une menace : selon lui il faudrait « toujours s’attacher au cœur des choses », et non divertir un public avec des sujets superficiels. Dans une esthétique publicitaire, Printed Sunset (2017) met en lumière les effets d’un coucher de soleil mis à plat en pans de couleurs sur un jeune couple séduisant. Suivant ce même processus d’abattement des perspectives, Portals (2019) met en scène des enfants en train de jouer avec des morceaux de miroirs pour déformer leurs reflets. Grâce aux miroirs filmés, manières de superposer les regards qui se trouvent décuplés – ceux des enfants, de l’artiste de la caméra, du spectateur –, Andrés Baron nous amène à réévaluer la relativité de ce que l’on appelle un point de vue, et parvient à nous faire divaguer, hors de l’exposition, pour se pencher sur les mécanismes du monde : qui définit les règles de la représentation, les limites du réel ?  


Vue de l’exposition Calcomanías, Andrés Baron, Chapelle Saint-Jacques centre d’art contemporain, 2022. p.  François Deladerrière



Briser la glace


Dans un coin de la chapelle, un chien fixe une main qui trace frénétiquement des cercles sur une feuille de papier, et précisément au moment où l’on commence à tourner en rond, un garçon au t-shirt rouge glisse dans le cadre et nous tire de l’absurde, son regard éthéré et frondeur accroche : Fresco (2022) rattrape le travers éculé du commentaire de l’art sur-lui-même. Certains communiants diront apparition, d’autres rencontre inespérée. Après quelques minutes d’un soigneux jeu de séduction entre la caméra et son modèle, le garçon, en contreplongée, jette une poignée de clou sur l’objectif avant de briser violemment la surface de verre qui le dévisage. Le regard ne change pas, nous fixe toujours, déçu d’être parvenu à briser l’illusion. Il y a la représentation et le réel, la fiction et les faits, une limite contre laquelle vient s’échouer le relativisme. La danseuse de Grammars nous l’avait déjà suggéré en nous tendant un miroir dont les reflets éblouissaient l’objectif, et par ricochet le visiteur : si l’on peut rêver faire art comme on fait société, n’oublions pas que l’utopie doit déborder des murs des musées.


>  Andrés Baron, Calcomanías, jusqu’au 25 février à la Chapelle Saint-Jacques, Saint-Gaudens

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