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Chercher l’essence d’un peuple en son paysage. Tenter de voir s’il existe une continuité entre une architecture régionale, l’âpreté d’une montagne, la sécheresse de la flore, des traditions locales apparemment anecdotiques, comme un jeu de cartes en fin de journée, une baignade dans la rivière. Percevoir une manière singulière d’être au monde. Pour le photographe belge Alassan Diawara, l’être humain se construit in situ. Cette épineuse hypothèse, associant d’emblée un être à son territoire comme à un destin, l’artiste a tenté de l’explorer en se confrontant à deux mastodontes : les paysages gardois d’une part, et les œuvres iconiques de son aînée Zineb Sedira, artiste franco-algérienne entrée dans l’histoire de l’art, travaillant entre fiction et documentaire depuis la fin des années 1990, d’autre part. Zineb Sedira est notamment connue pour son œuvre Les rêves n’ont pas de titres, produite pour la 59e Biennale de Venise en 2022. Cette installation documentaire à travers laquelle l’artiste part sur les traces de ses ancêtres et de l’Algérie indépendante des années 1960 et 1970, incarne un héritage politique, culturel et familial que l’on traverse en se promenant dans un salon en consultant des archives, en observant des photos, en écoutant de la musique. Les deux pieds dans la géographie intime de l’artiste, symbolisée par un lieu qui la rendait palpable. Là est le point commun entre Sedira et Diawara : pour résister, l’immatérialité d’une culture faite de liens affectifs doit s’incarner dans un espace, si vaste – comme la campagne nîmoise – ou si intime – comme l’intérieur d’un appartement – soit-il. L’exposition Partitions sédimentaires au Carré d’art de Nîmes est le compte-rendu de cette recherche qui a mené l’artiste à se promener dans l’imaginaire de la « ville romaine », plutôt célèbre pour ses vestiges antiques, afin de révéler ce qu’y vivre signifie d’émotions, de paysages, d’attitudes et de liens sociaux.



Zineb Sedira, « Mother, Daughter, and I », 2003. Photo © Archives Mennour. © Zineb Sedira, ADAGP, Paris, 2024 & Mennour, Paris.


Zineb Sedira et Alassan Diawara ont traité les grandes salles blanches du Carré d’art comme du papier à musique, cherchant à accorder leur partition l’une à l’autre. Ainsi les œuvres de jeunesse de Sedira, Mother daughter and I (2003) Mother tongue (2002), vidéos et images exhibant ce qui se perd et se transmet entre trois générations de femmes, sont-elles disposées de manière à révéler la tendresse et l’importance des liens familiaux dans les clichés parfois abrupts de Diawara. On pense notamment à un portrait de famille parfaitement composé par le photographe : une scène de pique-nique au bord de l’eau où le bleu des foulards de deux jeunes femmes creuse le paysage par un effet de rebond, guidant le regard vers un maillot de bain, le t-shirt d’un enfant, des chaises de camping, une glacière, une serviette étendue au loin, tous aussi bleus. Face à l’objectif, les visages expriment chacun la mélancolie, la joie et le malaise d’être ensemble, réunis sur des galets mouillés, à prendre la pose. Les tons froids suggèrent l’aspect figé de la structure familiale, comédie parmi les comédies, sans pour autant nier la forte valeur émotionnelle du portrait de famille : un certain rapport au souvenir, à la mémoire qui est également au cœur des œuvres de Sedira, celle qu’on conserve, qu’on performe, qui nous file aussi entre les doigts, loin d’être univoque.



Alassan Diawara, « Sans titre », 2023. © Alassan Diawara, ADAGP, Paris, 2024.




L’essence est dans la contradiction 


Plutôt qu’un portrait essentialisant de Nîmes, qui aurait considéré les habitants comme de purs éléments de décors, naturalisés, Alassan Diawara livre une fresque crue de son passage dans le sud de la France. Car si les photos sont posées, elles ne sont jamais coquettes. On pourrait les dire à l’os, à savoir que Diawara a braqué son objectif sur la rudesse qu’il a observée. Dans l’une des séries, on croit même voir un chien mort allongé sur l’herbe, avant de comprendre qu’il est le compagnon de route d’une famille qui se balade en camionnette blanche de forêts en champs. Il y a toujours plusieurs niveaux de regard, chaque image oscille entre la plus banale des scènes de campagne, de famille, de bord de rivière ou de village, et une mélancolie que l’on nous invite à regarder en face. L’aspect documentaire de Partitions sédimentaires suppose que faire l’histoire visuelle d’un territoire pousse à le décomposer en une multitude de strates, sans compassion particulière, afin d’en saisir la valeur contradictoire : entre images d’Épinal et clichés détournés, paysages idylliques et terrains vagues, lien de convention et affection honnête. Autant de dichotomies qui construisent les photographies de Diawara et teintent l’œuvre de Sedira d’une mélancolie que l’on avait vite fait d’oublier. Dans un coin de l’exposition, des courges aux aspérités jaunes séduisent l’œil. En face, le short jaune d’un garçon se détache du reste de son corps, fondu dans la roche qu’il est en train d’escalader. Nature morte et image documentaire se regardent dans le blanc des yeux, comme si les deux artistes avaient peur que l’art ne finisse toujours par figer la vie.


Alassan Diawara & Zineb Sedira, Partitions sédimentaires

jusqu’au 22 septembre au Carré d’art, Nîmes

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