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Sacrilège ! Les murs blancs de la salle d’exposition ont été attaqués à la bombe : « Cut, draw and walk off the line », a écrit le vandale. Il faut dire que l’extérieur du Transpalette prépare à ce genre d’intervention à même le mur : l’ancienne usine de matériaux de construction reconvertie en centre d’art depuis 1997 est couverte de tags. Tatouages qu’elle arbore avec fierté et qui lui vont bien. Adrien Vermont ne peut que cautionner : au-delà d’un titre d’exposition, ce graffiti raisonne comme le programme de vie qu’il s’est fixé. Qu’il coupe et recolle des feuilles gouachées comme le faisait Matisse, floque ses œuvres sur des t-shirts ou peigne des animaux cartoonesques sans tenir compte des bordures, l’artiste trentenaire dessine partout, sauf là où les conventions l’autorisent. Adrien Vermont a mis autant de temps à apprendre le dessin (aux Beaux-arts de Paris) qu’à le désapprendre : quand d’autres vont au Louvre imiter des tableaux de maître, lui dérobe des dessins d’enfants pour s’en inspirer. Ce tag inaugural que l’on peut traduire par « couper, dessiner et franchir la ligne », est un premier acte de rébellion contre la fonction de la ligne dans nos sociétés : celle qui limite, celle qui interdit, celle qui restreint. Enfant, on nous apprend à ne pas déborder, une injonction qu’il est temps de repenser.    


Vue de l'exposition d'Adrien Vermont au Transpalette © Margot Montigny


Le dessin est-il fasciste ? 


Combien de temps pour dessiner ça ? Le trait n’est pas droit, on distingue à peine l’animal représenté : un mammifère marin, ça c’est sûr, mais quoi ? Un dauphin, un esturgeon, un requin ? Le support papier est en mauvais état, déchiré en deux, la queue séparée du tronc. En plus, les yeux sont représentés en position frontale – on sait très bien que les requins les ont sur le côté, et surtout qu’ils ne parlent pas, encore moins pour s’écrier « FUK JⱯPAN ». La réponse à notre question : entre 4 et 6 mois. Avec le gris comme couleur dominante, les premiers travaux – que l’on peut voir au troisième étage de l’exposition (par lequel il est conseillé de commencer) – usent du découpage, du collage et du repentir, comme forme critique : l’art d’Adrien Vermont n’est pas une démonstration mais un « fuck » expressionniste. Les messages transmis par les bêtes de cette ménagerie insolite sont lapidaires, orthographiquement chaotiques : « just dont do it, just stop fucking do it » s’exclame un – fauve ? orang-outang ? ours ? – en cage, le texte perçant la bulle prévue pour le contenir.


Ici, un tableau faisant référence à la « pêche aux ailerons » répandue au Japon ; là, un autre, contre le système d’enfermement animal qu’est le zoo. En faisant exploser le dessin d’observation naturel tel qu’il a été initié par Conrad Gessner, précurseur historique du genre, Adrien Vermont questionne un certain usage du dessin qui a permis à l’homme de se rendre maître et possesseur de la nature : « Aux premiers temps des explorations maritimes, le fait de dessiner l’île découverte faisait foi de sa possession. » Dans une salle de projection résonne la voix de Professeur Toque (interprétée par Adrien Vermont) qui dispense un cours d’histoire de l’art. Instrument de possession, de domination, l’art de représenter n’est pas innocent. Si la langue est fasciste comme l’affirmait Roland Barthes dans les années 1970, le dessin n’est pas en reste. Le travail d’Adrien Vermont est l’aboutissement de 10 ans de recherche pour se débarrasser de cet effet secondaire de la représentation – celle qui, se voulant objective, enferme et réduit son objet. Se débarrassant de la ligne faite pour tracer des cases, l’artiste choisit de se tourner vers la sagacité animale.


Vue de l'exposition d'Adrien Vermont au Transpalette © Margot Montigny


Animal Causant, cause animale 


« Fuck Police » s’écrit le cochon, « Hang Bankz » s’exclame le vautour, « burn politicz » verbalise le rat (The Mauve Mouse – 2023). Les animaux d’Adrien Vermont se débarrassent des expressions qui les affublent des vilenies humaines – comme lorsqu’on dit d’un banquier qu’il est un charognard. Cette œuvre mise à part, le travail d’Adrien Vermont progresse vers un apaisement général lorsqu’on descend les étages, allant vers les productions plus récentes – la plupart réalisées spécialement pour le Transpalette. Des couleurs pop apparaissent ; les tableaux sont parcourus de cœurs ; les mots des animaux, de plus en plus souriants, deviennent des paroles philosophiques : message de paix et appel à la sagesse remplacent les « fuck ». Enjambant des siècles de référence, l’artiste mélange l’apparition d’un ourson mascotte d’une célèbre boîte de céréale et le serpent ouroboros (Time n space r human constructz / Le temps et l’espace sont des constructions humaines). Conclusion de ce solo, master piece finale, In book lies knoledg lies notruf (les livres mentent, le savoir ment, pas la vérité) est exécuté au pinceau, alors que la plupart de ses œuvres le sont au posca : on retrouve, juché sur son pupitre, Adam qui nomme les animaux, conformément à l’épisode de la Genèse, 6e jour. Dans la version d’Adrien Vermont, l’ancêtre des hommes a les traits de Maestro (protagoniste d’Il était une fois la vie), et son doigt, démesuré, échoue à faire autorité. Les animaux ont du répondant et lui renvoient sa science au visage : le savoir humain est mensonge.


Vue de l'exposition d'Adrien Vermont au Transpalette © Margot Montigny


Fidèle à son esprit, le Transpalette propose avec cette exposition une nouvelle forme discrètement militante et ostensiblement drôle. Habile satiriste, buvard de références toutes époques confondues, Adrien Vermont assume un discours tranché grâce à des formes directes et percutantes.



Cut, draw and walk off the line de Adrien Vermont, jusqu’au 7 janvier au Transpalette, Bourges

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