Il est sept heures du matin, les yeux collés par la fatigue, il nous faut grimper péniblement la colline du parc Jean-Moulins les Guillands qui surplombe les villes encore endormies de Montreuil et Bagnolet en périphérie de Paris. Du haut de la Maison du Parc, grande bâtisse colorée fraîchement construite, une silhouette nous fait signe de grimper les escaliers en ferraille. Entre un café et des bavardages, notre accompagnatrice jette un œil à sa montre : il est temps. Sur le toit du bâtiment, une petite passerelle nous conduit à une cabane en bois clair. « Bonne veille » lance-t-elle avant de refermer la porte.
Imaginé par la chorégraphe belgo-australienne Joanne Leighton, Le Cycle des Veilleurs reproduit tous les jours ce drôle de rituel. Chaque matin pour le lever du jour, et chaque soir au coucher du soleil, quelqu’un se tient immobile, ou presque, dans l’architecture de bois construite par le designer et scénographe Benjamin Tovo. Ce silencieux relais de personnes, 730 au total, toutes volontaires pour veiller sur la ville, se dépliera pendant un an.
Le Cycle des Veilleurs de Johanne Leighton p. Maison Populaire
À plus de 16 mètres au-dessus du sol, sans autre témoin que nous même, une heure, c’est à la fois court et très long. Ce temps nous appartient : l’abri est petit, tout pile adapté aux proportions d’un seul individu. C’est d’abord l’odeur sucrée de forêt qui secoue les narines. Et puis, à travers les grandes fenêtres, la ville s’anime déjà et notre regard s’aiguise. Danse d’oiseaux, traces d’avions, nuages rosés, feuilles orangées vite déblayées par la soufflerie d’un employé du parc : chaque détail devient un évènement. Puis, l’esprit divague : les arbres et les bois au loin sont des poumons, les rues des artères et ce centre urbain le cœur d’un être bien vivant.
Comme porté par une transe méditative, le veilleur paisible a de quoi s’interroger : est-ce lui qui veille sur la ville ou bien l’inverse ? Dans cette cabane de bois, performe-t-on pour la ville ou se laisse-t-on performer par elle ? Alors que l’heure s’est presque écoulée, le parc s’est rempli de vie humaine. Joggeurs, promeneurs canins et gamins ont pris la place des mouettes et des corbeaux. Reste au veilleur de s’extraire de son état tout cotonneux pour retourner dans l’implacable et chaotique ballet quotidien de la ville.
> Le Cycle des Veilleurs de Joanne Leighton jusqu’au 2 octobre 2022, avec la Maison Populaire de Montreuil, l'Atelier de Paris CDCN et le Paris Réseau Danse, inscription gratuite sur lecycledesveilleurs.com