Ses yeux écarquillés : deux soucoupes fascinées. L’enfant est assis sur un pouf, dans le public. Il a environ dix ans. Il observe un cortège de femmes et d’hommes avancer vers lui en chantant. Chapeaux en tissu ou en osier, slips couleur chair, seins nus et guêtres de laine colorée – le défilé est à la lisière du grotesque. L’enfant suit du regard cette cohorte médiévale du futur puis tend la main. Vite, sa mère le ramène à la réalité : au spectacle, on ne touche pas. Pour In absentia, nouvelle collaboration entre l’ovni national François Chaignaud et Geoffroy Jourdain, qui dirige le chœur des Cris de Paris, les spectateurs sont assis en cercles concentriques. Les interprètes passent dans leur dos, se dressent parmi eux, se regroupent parfois au premier rang. On voit les muscles sous la peau, les mille métamorphoses live dictées par la chorégraphie. Une proximité qui donne envie de toucher, c’est vrai.
Pour leur précédente création, Tumulus, François Chaignaud avait imaginé une partition de chants, de bruits et de gestes pour 13 interprètes. Pensée dans sa continuité, In absentia explore le chant polyphonique ancien. Le duo d’artistes cherche dans des temps oubliés une façon de faire concorder des voix singulières. Parler tous en même temps, dire des choses différentes et pourtant, faire corps. Leurs influences mêlées et leur amour des états intermédiaires se rejoignent dans une écriture en mutation constante : du derviche à la danse populaire médiévale. Du rire aux larmes, toujours en transition.
Sur le sol en pierres de l’Abbaye de Royaumont où s’inaugure le spectacle, la peau sèche des pieds nus chuinte. Les interprètes en font de la musique. Un peu plus tard, c’est la toux grasse d’une des interprètes qui donne le la. Plus tôt, c’était un éternuement ou une inspiration. Quand les danseurs font apparaitre le reste des costumes — des vestes capitonnées d’un bleu irisé —, le textile frotte le sol et à nouveau, un motif sonore. Tout est musique. Pas d’instruments ni d’ajouts de lumière, Chaignaud ne montre pas les muscles. Quelques harmonies fantasques et low-tech suffisent.
À la fin du spectacle, l’enfant est toujours là au premier rang, ébahi. À sa gauche, sa mère verse une larme. Le dernier tableau figure une procession funéraire puis, sans prévenir, les danseurs s’animent, se font farceurs. Agitant de petites cloches, la troupe bondit hors de la scène et disparait dans la cacophonie. Laissé dans cet état de confusion émotionnelle, le public goûte au plaisir de la beauté abstraite, débarrassée du tout-narratif et des thèmes obligés.
In absentia de François Chaignaud & Geoffroy Jourdain a été présenté le 8 septembre dans le cadre du Festival d'Automne à l'Abbaye de Royaumont, Asnières-sur-Oise
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