CHARGEMENT...

spinner

Si l’Opéra de Paris reste encore perfectible en matière de politique tarifaire, il est cependant l’un des derniers espaces où tout le monde a la possibilité d'exprimer démocratiquement in situ ses sensibilités artistiques. Par tradition, chacun peut, une fois la dernière note entendue, libérer sa parole critique : invectiver les chanteurs, conspuer le metteur en scène ou tout au contraire crier son enchantement, multiplier les bravos et s’il le souhaite, échanger avec ses voisins de salle. Une façon pertinente d’invalider les théories des conservateurs souscrivant à la supposée passivité du spectateur perçu comme un regardeur et consommateur, incapable d’agir.

En cette rentrée d’automne, Iphigénie en Tauride vérifie une fois de plus ce constat. Sur la scène du Palais Garnier, la tragédie lyrique de Christoph Willibald Gluck inspiré de l’auteur antique Euripide, une reprise d’une production déjà extrêmement controversée à sa création en 2006, déclenche à nouveau – en tout cas le soir de la première – une multiplicité de réactions contraires. Hué ou acclamé, le spectacle ne laisse personne indifférent. Si la musique fait l’unanimité, c’est loin d’être le cas de la mise en scène qui peine à rendre lisible le livret confus, écrit en quatre actes par Nicolas-François Guillard en 1779. Ici, le metteur en scène Krzysztof Warlikowski semble avoir pris le parti de l’opacité du récit et, loin de tenter de l’éclairer, il choisit délibérément de le complexifier. En utilisant les logiques des contraires comme ressources scénographiques, il montre Iphigénie, exilée en Tauride (la presqu'île de Crimée dans l'Antiquité), aux prises avec son destin. Elle est tour à tour une héroïne vieillie, habitée de cauchemars, vivant dans une maison de retraite ou une jeune femme tentant d’échapper au tragique.

 

Iphigénie en Tauride p. Sébastien Mathé - Opéra National de Paris

 

En doublant le personnage lyrique par une actrice, en mêlant le glamour et le gore, les lavabos et sommiers des dortoirs avec les tailleurs façon Chanel, en multipliant les espaces – des loges, de la salle et du plateau – et les actions avec de nombreuses scénettes sans rapport direct avec le récit principal, le metteur en scène produit un mélange de réalisme et d’onirisme qui confine à la nébulosité. Un désordre qui, si on veut bien l’accepter, réfléchit l’altérité des héros. Celle d’Iphigénie surtout mais aussi celle d’Oreste qui a assassiné sa mère, et de Thoas, le roi de Tauride qui souffre d’un délire de persécution. La mise en scène devient le miroir noir de la volonté changeante des dieux qui manipulent les humains au gré de leurs désirs. Ce trouble optique produit une intense poésie qui se conjugue avec la fougueuse orchestration de Thomas Hengelbrock et la merveilleuse présence des chanteurs : celle de l’extraordinaire héroïne mezzo-soprano Tara Erraught, mais aussi de ses compagnons d’infortune les baryton Jarrett Ott (Oreste) et Jean-François Lapointe (Thoas), ainsi que le ténor Julien Behr (Pylade). Tous et toutes concourent avec l’aide des personnages secondaires à créer un spectacle lyrique qui reste en mémoire comme une troublante énigme.

 

> Iphigénie en Tauride de Christoph Willibald Gluck mise en scène par Krzysztof Warlikowski a été présenté du 14 septembre au 2 octobre à l’Opéra de Paris, Palais Garnier

Lire aussi

    Chargement...