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Le sous-titre de l’exposition monographique de Roubaix conçue par Sylvette Botella-Gaudichon, William Morris, l’Art dans tout, n’implique pas que tout soit art mais que l’art puisse résider en tout domaine. Pour William Morris, l’art, l’éducation et la liberté ne sauraient être réservés à un petit nombre. Dans le cadre du phalanstère the Red House, maison de Bexleyheath, de la banlieue sud de Londres – que William Morris offrit en 1859 comme cadeau de mariage à la belle et mélancolique Jane Burden – se réunissaient fréquemment les peintres préraphaélites qui l’avaient meublée et décorée. Architecte de formation, Morris s’est intéressé en touche-à-tout aux autres branches de la création : au dessin, au roman et à la poésie. Dans la deuxième partie de sa vie, ce grand bourgeois, écologiste dans l’âme, prophète avant l’heure de la « décroissance » dans une Angleterre industrialisée à tout va, s’est tourné vers le communisme, créant en 1884, avec Belfort Bax, Edward Aveling et Eleanor Marx, la fille de Karl, la Socialist League. Passant du statut de notable à celui de révolutionnaire, il a défendu l’indéfendable au pays du libéralisme à tout crin : la cause des femmes, celle des ouvriers et celle de l’environnement.


La Maison rouge au fond de la Piscine

Un des autres paradoxes est que ce visionnaire se soit tourné vers des formes d’art et des valeurs du temps jadis. La Maison rouge, dessinée avec l’architecte Philip Webb, fabriquée en briques rouges « autochtones et non enduites », conçue, d’après Jean-Étienne Grislain, comme un siège d’entreprise ou « a business-like house » aura été pour William Morris un modèle de confort idéal, avec des papiers peints dessinés par lui, des chaises de Ford Madox Brown, des buffets de l’ami Webb, des tableaux de Sir Edward Coley Burne-Jones, Elizabeth Siddal et Dante Gabriel Rossetti, des objets sinon vieillots du moins intemporels, des vitraux et autres enluminures médiévales.


Il faut dire que le Moyen Âge était pour Morris, comme pour les adeptes du Préraphaélisme, un idéal esthétique et un mode de vie et de travail plus satisfaisant que ce que proposait la société dite moderne. Ces artistes préféraient l’art ancien à celui de la Renaissance qu’incarnait à leurs yeux Raffaello Sanzio. John Everett Millais, William Holman Hunt, Dante Gabriel Rossetti et William Morris renonçaient en somme à « aller de l’avant ». Ils privilégiaient le dessin à la peinture, tout au moins à celle qui était la plus avancée en Angleterre avant l’ère victorienne, d’un Turner ou d’un Constable, les précurseurs de l’impressionnisme.


Reviviscence 

L’idéal de William Morris n’est plus l’Antiquité, comme ce le fut au début du XXe siècle pour Isadora Duncan, mais le Moyen Âge et ce qui va avec. Par exemple, ses confréries – les Préraphaélites en avaient formé une dans leur jeunesse, en 1848, la « brotherhood » de la Royal Academy de Londres. D’où ce goût pour l’artisanat, pour le travail anonyme mais bien exécuté et, surtout, non aliénant. Pour la pratique de l’écriture en général, de l’écriture manuelle mais aussi des essais en matière de typographie. Ces vieux garçons, pour la plupart barbus, en outre, idéalisaient la femme, la valorisaient comme trouvères et troubadours célébraient l’amour « courtois ».


William Morris écrivit un livre qui est considéré de nos jours comme féministe, The Defence of Guenevere (1858) qui vient d’être traduit en français et publié en édition bilingue. Sa femme Jane fut aussi sa muse. Il lui consacra une seule peinture de chevalet, La Belle Iseult, encore appelée Queen Guenevere (1858) et de nombreux dessins. Ses amis peintres, à commencer par Dante Gabriel Rossetti, l’immortalisèrent, lui faisant jouer de nombreux rôles, dont celui de Jeanne d’Arc, prête à combattre non pas les Anglais mais le monde industriel par eux créé. François Rivière nous apprend que Rossetti « jeta son dévolu sur Jane pour faire de celle-ci, d’une beauté sans pareille, son modèle favori et sûrement un peu plus. » Le réalisme de ces peintres, gage selon eux d’une authenticité qu’ils opposent à l’art idéaliste, un naturalisme garanti par le daguerréotype, contraste avec l’art décoratif ou « lesser art » (art mineur), floral, oriental, musulman, abstrait, iconoclaste du papier peint et du textile à l’ère du design.


> William Morris (1834-1896) : L’art dans tout, jusqu’au 8 janvier à la Piscine, Roubaix

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