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Le vert Hyber est très agressif. Qu’est-ce qu’il dit de votre rapport à la nature ?


Ma première expo s’appelait Mutation, la deuxième Pollution, vous voyez… J’ai très vite choisi ce vert pour communiquer : un vert qui ne soit pas confortable, un vert très artificiel qui représente la vie la plus forte possible, la première pousse. J’ai grandi en Vendée, dans la ferme de mes parents à Château-Guibert. Ils élevaient des moutons en agriculture extensive. À la fin des années 1980-90, quand la propriétaire des terrains qu’ils louaient est décédée, j’ai décidé de racheter les terres pour qu’ils ne soient pas entourés par l’agriculture industrielle qui envahissait la région : des cultures de maïs, de tabac, des trucs dégueulasses avec des pesticides en permanence. J’ai vu les paysages changer radicalement. C’était la période du remembrement, quand l’État a décidé d’arracher tous les buissons qui séparaient les parcelles. Les buissons étaient là pour arrêter l’eau, protéger les animaux, pour que les vaches, les chevaux puissent paître facilement. Tout ça a été détruit pour permettre aux énormes machines agricoles de circuler. J’avais 27 ans, je venais juste de finir mes études aux Beaux-Arts de Nantes. J’ai fait un emprunt, mes parents se portaient garants. Ce n’était pas un geste très naturel pour moi qui ne voulait avoir aucune propriété, mais c’était le seul moyen de protéger cet espace.


Fabrice Hyber, L’Arbre mental, 2019 © Fabrice Hyber / Adagp, Paris, 2022.



En 1996 vous semez les graines de votre forêt sur ce même terrain. L’année d’après vous représentez la France à la biennale de Venise. Passer du calme rural à la frénésie d’une manifestation d’art internationale, ce n’était pas un peu contradictoire ?  



Je ne ressens pas de rupture entre ces deux univers. J’aime toutes les possibilités. Tout est bon. Aller à Venise, avoir tous ces gens qui viennent à votre rencontre, des tas de projets, un tas de travail, fait également partie de ma vie. Quand on est à la campagne, il y a aussi énormément d’activité : qu’on élève des moutons ou qu’on plante des graines, il faut être attentif à tout, le climat, l’air, les cours d’eau, les animaux qui passent.


À cette époque, on parlait beaucoup de vos travaux qui interrogeaient la production d’image et d’objet. Aujourd’hui, on médiatise beaucoup plus vos toiles représentant la nature. Vous percevez un changement dans la manière dont les institutions reçoivent les discours d’artistes sur le vivant ?



Pour l’exposition Nous les arbres en 2019, la Fondation Cartier voulait intégrer un de mes « paysages biographiques ». Quand l'anthropologue Bruce Albert et le directeur de la fondation Hervé Chandès sont arrivés à l’atelier, ils ont vu tous les tableaux que je faisais autour des arbres, des racines, des éclairs. Ils ont compris qu’il y avait autre chose à faire qu’un petit dessin. Depuis le début je parle du vivant, de mutation, de pollution, de la tempête, de la pluie, du chaos. Depuis le début ! Je fais ça depuis toujours, le seul truc c’est que les lieux d’expositions n’en parlent que maintenant. À Tokyo en 2008, j’ai semé des graines dans toute la ville (Je s’aime). J’ai essayé en France de faire pareil. À Paris ça m’a été refusé. À Cahors en 1999, j’ai obtenu un contrat de trois ans, qui consistait à installer des arbres fruitiers. Au bout d’un an, la ville a arrêté le projet en prétextant que les arbres polluaient, à cause des fruits au sol.


Fabrice Hyber, Polyptyque du sport, 2018, détail © Fabrice Hyber / Adagp, Paris, 2022.



Que ce soit planter une forêt, organiser des C’Hybert Rallye ou lancer des séries d’objets commercialisables comme le Ballon carré, vous considérez l’activité artistique comme une mise en action, une entreprise au sens littéral. Pour vous l’artiste doit mener le spectateur à autre chose que la contemplation ?




Un artiste ce n’est pas forcément quelqu’un qui peint, c’est quelqu’un qui a créé une situation. Un chercheur, ça peut être un artiste, un chef d’entreprise qui développe de nouvelles choses aussi. L’entreprise n’est pas forcément une machine à cash, c’est une manière de créer son monde autour de soi. Il ne faut pas confondre entreprise et business. L’entreprise, c’est surtout entreprendre sa vie. Tout le monde a cette capacité de développer sa créativité et d’inventer son univers.



Cette position d’« artiste-entrepreneur », vous a-t-elle été reprochée ?



Je n’ai jamais voulu qu’on puisse me cerner. Je souhaitais être comme une savonnette, dans le bain, qui glisse des mains, hop ! ; être le plus glissant du monde, donc j’ai fait le plus gros savon du monde en 1991. Sauf qu’à l’époque, je sortais des études, je n’avais pas un sou et je ne voulais pas attendre la bourse de l’État. Je me suis tourné vers les entreprises qui prodisent du savon [Chimiotechnique SED Idéal, située entre Marseille et Lyon, ndlr]. Ils m’ont offert le savon, en échange d’une communication interne dans leur entreprise. Je me suis retrouvé avec 22 tonnes de savon de Marseille moulé dans une benne de camion et la moitié du milieu de l’art qui me haïssait.

Dans la foulée j’ai créé UR (Unlimited Responsability), une SARL. Un artiste qui créé une entreprise ? Tout le monde a dit : « Non ce n’est pas possible, c’est un commerçant ! » Ça ne m’a même pas fait gagner de l’argent. J'utilisais ce que je gagnais de la vente de mes dessins ou de mes tableaux pour financer les projets d’autres artistes. Maintenant il y a plein de boîtes de production, comme Arter, qui naissent de cette idée. Et eux, ils gagnent beaucoup d’argent.


Vue de l’exposition La Vallée à la Fondation Cartier © Michel Slomka / MYOP - Lumento



La scénographie de l’exposition La Vallée reproduit le décor des salles de classe. L’école est pourtant un lieu très rigide, et passif dans son mode de réception, en opposition à la liberté créative que vous défendez…



Justement, l’école que vous voyez ici, avec mes tableaux (ça aurait pu être ceux d’autres artistes), présente plein d’ouvertures. Ce n’est pas une école où vous allez apprendre à faire de la gestion, on va vous parler du pétrole d’une autre façon, du plastique d’une autre façon, de la mutation d’une autre façon, du recyclage, du langage, de l’immigration... Elle ouvre à plein de possibilités.



Vous pensez que l’art est assez utilisé dans nos écoles ?


Non, absolument pas. Ça devrait être obligatoire de la petite école à la terminale, au moins 4 heures par semaine. Il faut affirmer cette créativité comme un élément essentiel de notre société, prendre conscience des possibilités que vous avez de créer quelque chose et de l’affirmer. Vous trouverez toujours des moyens de développer cette création, et le réseau de personnes qui vous aidera en ce sens.



Vous avez commencé par des études de mathématiques. Qu’est-ce qui vous a manqué, en tant qu’apprenti scientifique, que l’idée de devenir artiste vous a apporté ?



Quand on fait des mathématiques trop abstraites, ce qui manque, c’est de pouvoir se raconter des histoires. Mes dessins m’aident à poser les problèmes d’une autre manière. Il faut que je dessine pour revivre. Si j’ai un souci et que je me contente d’attendre, rien ne se passe ; alors que si je dessine, il y a autre chose qui se met en place, ça relance la machine. Et ça, tout le monde devrait le faire. Ce n’est pas seulement en allant voir un psy qu'on peut résoudre tous les problèmes.


Fabrice Hyber, La Serrie, paysage biographique de mes parents, 2022 © Fabrice Hyber / Adagp, Paris, 2022.



Dans une exposition à la galerie Nathalie Obadia en 2017, vous vous mesurez concrètement à Jean Dubuffet (un mur à l’entrée indiquait vos deux tailles, Dubuffet, 1,69 m, Hyber, 1,75 m). À quel point vous intégrez la compétitivité à votre processus créatif ?



Je déteste l’idée d’être en compétition. Je fuis ça. Je déteste les coupes du monde de football, je déteste les jeux olympiques, quand on met les pays les uns contre les autres, je trouve ça inadmissible. Ça ne fait pas disparaître la violence, au contraire, ça l’attise. Dans ce cas, ce n’était pas une question de rivalité. Cette exposition était à l’initiative d’une amie qui faisait des liens entre moi et Dubuffet, pour notre côté un peu électron libre. Comment accrocher ça ? Il faisait 1,68, moi 1,75m, j’ai mis mes tableaux au-dessus, à 1,75 m du sol, et les siens en dessous. Ça faisait un accrochage très cohérent, qui fonctionnait bien. Finalement, il n’y avait plus que 7 cm qui nous séparaient…


Récemment, vous avez fait disparaître le « t » de Hybert, pourquoi avoir rapetissé votre nom ?


Quand je m’amuse avec mon nom, l’Hybertmarché (1995), le Ted Hyber (1998), ce « t » n’est pas pratique, il me gêne. J’aimerais aussi que le « h » devienne minuscule et que mon nom ne soit plus qu’un suffixe. Une façon de se comporter « hyber ». Il y a super, ultra, hyper, anté, pré, pro, il y aurait aussi « hyber », pour désigner ce qui est entre les choses. Imaginer que mon nom devienne un nom commun, j’aime bien. Sans « t », à la vôtre.


Propos recueillis par Alexandre Parodi



> Fabrice Hyber, La Vallée, jusqu’au 30 avril à la Fondation Cartier, Paris