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Sur la suggestion de l’historienne d’art Emma Lavigne, les chorégraphes Petter Jacobsson et Thomas Caley ont cherché à rendre corps à un projet de ballet du peintre Yves Klein, La Guerre (de la ligne et de la couleur) qui date de 1954. Les deux directeurs du Ballet de Lorraine se sont appuyés pour ce faire sur une musique électronique d’Éliane Radigue, L’Île re-sonante (2000), bien plus récente. Est-ce un hasard ? Pas vraiment. Il se trouve qu’Éliane Radigue, disciple de Pierre Schaeffer et Pierre Henry, deux pionniers de la musique dite « concrète » car liée aux méthodes d’enregistrement et d’écoute électroacoustiques, fut la compagne du sculpteur Arman, un ami d’enfance d’Yves Klein devenu avec ce dernier et quelques autres – Tinguely, Niki de Saint Phalle, César… – une des figures du Nouveau Réalisme. Un mouvement artistique d’avant-garde lancé par le critique Pierre Restany en 1960 depuis le domicile de Klein, qui sonne le glas de la représentation et avait la particularité de ne reposer sur aucun consensus esthétique.

 

Sauts dans le vide

Pour compléter le tableau, Jacobsson et Caley ont fait appel à l’artiste visuel contemporain Tomás Saraceno, qui a conçu l’éclairage de la pièce et réalisé une vidéo projetée sur grand écran. Si la lente animation image par image passant du blanc noir et inversement n’est pas plus étonnante que cela, en revanche, les jeux de lumière proposés sont du niveau des plus grands éclairagistes de danse. La première partie du spectacle, notamment, est remarquable : elle transfigure le corps dansant des vingt-quatre merveilleux interprètes en signes tracés à l’encre de Chine.

Pour ce qui est de la chorégraphie proprement dite, nous avons droit à nombre de trouvailles. Lors de l’ouverture en douceur, le minimalisme visuel est de rigueur. Il s’accorde au décor zen et à la musique de drone. Les gestes s’étirent, comme les notes bourdonnent : à l’infini. L’univers est flottant pour le soliste déjà là et ses camarades arrivant petit à petit à la rescousse. Ils entrent d’abord côté cour, en exécutant de systématiques roulades, en arrière, puis en avant – référence obligée au judoka qu’était par ailleurs Yves Klein. Ces chutes suivies de rebonds pourraient suffire au ballet. Mais leurs auteurs ne s’en contentent pas. Loin de là.

Les corps s’inclinent au maximum, retenus dans leur prévisible chute par des sangles fixées horizontalement, d’un bout à l’autre du plateau. Plus loin, plus tard, des velléités néoclassiques rassureront la partie traditionnaliste des abonnés du théâtre. Mais les sauts eux-mêmes sont alors contrariés, un partenaire réprimant l’envol de l’autre, le freinant dans son élan, dans son allant. Le repoussant, si nécessaire. Après les chutes, les rebonds, les envols contenus, viennent les sauts dans le vide – comme celui, imaginaire, illusoire, du célèbre photomontage de Klein, en 1960, dans une rue pavillonnaire de Fontenay-aux-Roses. Nous n’en dévoilerons ici ni le détail ni le secret, ces sauts de l’ange relèvent du rêve, celui d’Icare, en particulier.

 

Photographie : Air-condition de Petter Jacobsson et Thomas Caley p. Emilie Salquebre

> Air-condition de Petter Jacobsson et Thomas Caley a été présenté du 10 au 14 novembre à l’Opéra National de Lorraine, Nancy

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