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Pocket Enemy, Fuck Facebook Face Orchestra… : votre travail est nourri par une hantise de la communication numérique et des intermédiaires technologiques. Personnellement, êtes-vous émancipé de ces outils ?

 

Je ne suis présent sur aucun réseau social mais cela ne m’empêche pas d’être immergé comme tout le monde dans ce marasme digital. Je ne préconise pas pour autant de se débarrasser entièrement du numérique. Il constitue désormais une réalité à laquelle on ne peut échapper. Mais le rôle de l’artiste est de souligner les dégâts engendrés par notre fascination pour la technologie. Les débuts d’internet laissaient croire en une émancipation par la démocratisation de nouveaux moyens de communication. Cette chimère n’a pas duré longtemps. Le grand capital a pris le dessus et tiré profit de ce que l’humain avait de meilleur – la solidarité, l’amitié, l’intimité. Aujourd’hui, des géants de la communication manipulent nos vies, nos données et nos images pour exercer un contrôle politique sans précédent. 

 

Vous tentez un « auto-portrait » musical dans Autorretrato. Au XIXème, Strauss s’y attelait dans une symphonie grandiloquente, Une vie de héros. Comment le fait-on en 2024 ? 

 

Autorretrato est une comédie noire autobiographique, un tableau de notre société contemporaine à partir de mon propre portrait. J’y mets en scène ce que je ne demanderais pas à un interprète. Je les performe live à partir de mon visage retransmis en vidéo par une application de reconnaissance faciale sur mobile. Mon double numérique apparaît sur grand écran derrière moi, provoquant une mise en abyme. J’y interagis avec plusieurs symboles et mots qui dressent un bilan poétique de notre temps – avec une dose de dérision. L’humour est un puissant vecteur de communication, j’aimerais l’utiliser davantage. Dans mes pièces pour groupe, je ne laisse aucune marge de jeu aux interprètes pour privilégier une expression naturelle. Ils suivent une partition de mouvements très strictes à exécuter en temps réel. Leur état de concentration évacue toute théâtralité : c’est là qu’émerge une émotion véritable.

 


© Pablo Fernandez 



Tournant 2010, vous considérez que les « possibilités de l’écriture instrumentale et des techniques contemporaines sont déjà épuisées ». Comment sortir de cette impasse ? 

 

À l’issue de mes études en Europe, je me suis posé la même question que tout jeune compositeur – et que tous ceux du XIXème et XXème d’ailleurs : comment créer mon propre langage musical ? Tout ce que j’écoutais de nouveau avait le même goût, comme si on cuisinait toujours avec les mêmes ingrédients. Mais il n’y a pas que la grammaire dans le langage. Comment trouver la musique ailleurs, hors des rudiments d’un médium usé ? Je me suis tourné vers la « sonification », la traduction de phénomènes chaotiques captés dans la nature ou dans la gestuelle humaine. Le recours à la programmation, au physical computing et à l’électronique m’ont aidé à ce titre.  

 

Selon vous, « la musique contemporaine ne répond plus aux questionnements artistiques et esthétiques actuels ». Faut-il alors redéfinir son champ ou sen détourner ? 

 

La musique contemporaine européenne est souvent élitiste. Elle se veut intellectuelle, complexe et prend pour référence un passé qui n’a plus d’écho dans le monde actuel. Les arts visuels, la danse, le cinéma ou la photographie n’ont pas ce problème – il suffit de voir les thématiques que ces médiums abordent. C’était ma première impression en arrivant en Europe mais cela a évolué depuis. Beaucoup d’artistes de ma génération et des générations suivantes abordent enfin la création comme une nécessité et non comme une imposture esthétique.



Daniel Zéa est artiste invité du 30 avril au 5 mai au festival Les Amplitudes à La Chaux-de-Fonds (Suisse)

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