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Et si Shakespeare était une femme ? De toutes les théories sur l’identité du dramaturge britannique, celle récemment avancée par l’essayiste Elizabeth Winkler en a fait bondir plus d’un. Mais pas Christiane Jatahy. Après Macbeth en 2015, c’est au tour de Hamlet de rencontrer le théâtre de la metteuse en scène brésilienne. Sa relecture de la tragédie du roi du Danemark fait du protagoniste une femme – une première du genre pour une pièce pourtant abondamment revisitée.


Conçu comme un quasi-huis-clos, la scénographie joue sur la démultiplication des perspectives par jeux d’images animées, reliant passé et présent. Point de chemin de ronde mais une toile tendue en avant-scène, projetant une forêt au clair de lune. En voix off, les gardes guettent le spectre d’Hamlet père. Le visage de ce dernier s’affiche en Zoom XXL pour intimer à son enfant homonyme de venger sa mort. Surgit ensuite une foule de convives en projections à taille humaine, célébrant les noces de Claudius et Gerturde – frère et veuve du défunt. À l’intérieur du Château d’Elseneur, redécoré en spacieux et confortable appartement contemporain, les sept interprètes naviguent entre effets miroir et captation vidéo. Leurs faits et gestes sont retransmis en direct sur un écran plat ou sur les baies vitrées du salon. Impossible donc de se se soustraire aux regards – le roi lui-même est filmé jusque dans sa salle de bain sur le moins noble des trônes.


Dans cet univers hybride, le contemporain côtoie le baroque, et la tragédie le grotesque. Si la majorité du texte original a été conservée, quelques passages réécrits par Christiane Jatahy ont de quoi hérisser le poil des puristes. Entre XVIIet XXIsiècles, les langues se rencontrent dans des détails d’écriture, interjections et tics d’expression. Les époques se confondent aussi dans le paysage musical, mêlant airs de Mozart, samples électro et les voix de Nina Simone et de Sinéad O’Connor. Mais le cumul de ces influences égare les personnages dans des directions hasardeuses. Gertrude monologue en sanglotant sur des oignons, Hamlet converse avec ses amis sur le canapé autour d’une part de pizza. Pendant ce temps en arrière-plan se noie l’amour impossible du roi pour Ophélie.



"Hamlet" de Christiane Jatahy © Simon Gosselin



Plus étonnant, pour subvertir l’œuvre de Shakespeare, Christiane Jatahy met les personnages masculins sur le banc de touche – Laërte, frère d’Ophélie, est même exclu du casting. Les femmes y gagnent certes en visibilité mais pas en profondeur. Dans la peau de Gertrude, Servane Ducorps fredonne tout juste quelques chansons et glisse sur la complexité de son quadruple statut de mère-veuve-épouse-reine. Ophélie, portée par Isabel Abreu, est mieux servie et déploie davantage de contrastes. Dépouillée de la féminité idéalisée dont l’avait revêtue la littérature du XIXe siècle, elle devient une femme mature et lucide sur son sort funeste. Les sous-titres de ses répliques en portugais nous la rendent étrangère mais des vues plongeantes sur ses pupilles la rapprochent. Hélas, outre ces intuitions liminales, l’ensemble manque de consistance.


Quid alors du célèbre héros tragique ? Une frustration culmine à son endroit. Clothilde Hesme s’empare du rôle avec sensibilité mais le basculement de son personnage au féminin laisse bien des angles morts. La comédienne restitue les nuances de la psychologie d’Hamlet, torturée par une rage vengeresse. Elle peine cependant à incarner pleinement sa protagoniste faute d’une dramaturgie assez radicale. Le prisme de la lecture féministe peine à s’imposer vraiment si ce n’est en filigrane, dans un monologue final construit en patchwork. Le poids du patriarcat, les relations filiales et l’identité genrée sont tous survolés. À l’arrivée, Christiane Jatahy a bel et bien déplacé Hamlet sur l’axe du genre et de la temporalité. On s'étonne alors que son identité et ses interrogations en ressortent presque intacts.


Hamlet de Christiana Jatahy du 5 mars au 14 avril à l’Odéon – Théâtre de l’Europe, Paris


--> du 31 mai au 2 juin au Wiener Festwochen, Vienne (Autriche)

--> du 11 au 13 juin au Théâtre national populaire dans le cadre des Nuits de Fourvière, Lyon

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