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Trop mignon ! Jeune et joufflu, avec cette crinière noire qui donne envie de l’ébouriffer. Et puis on le sent câlin, joueur. Pour un peu on lui ferait une papouille. Craquant. C’est sans doute ce que disaient ses voisins au tout nouveau Premier ministre montrant la photo de son chien sur le banc de l’Assemblée nationale, alors qu’un député de l’opposition était en train de parler des travailleurs pauvres. Celui-ci s’apprêtait à déposer une motion de censure. Mais Gabriel Attal était, lui, occupé à montrer la photo de son chien.


D’aucuns s’offusquèrent de voir le Premier ministre occupé à ça pendant qu’on lui parlait de souffrance au travail. Mais lui, non, pas du tout. « Elle devait rester mon jardin secret… Une photo de mon écran de téléphone cette semaine en a décidé autrement. J’ai toujours été passionné par les animaux. Et je pense que la manière dont la société les considère dit beaucoup de qui nous sommes. Comme député, puis ministre, j’ai toujours eu à cœur de m’engager pour le bien-être animal. » Le jeune maître pose sur Instagram en jean baskets, assis détente sur les marches de l’hôtel de Matignon. C’est vrai que c’était « le bon moment », avec un jardin pareil. Bravo ! disent les gens dans les commentaires. Trop mignon, le jardin secret exposé aux 300 000 abonné·es.


Le nouveau PM sait soigner son image. Avant que ne s’épuisent les gloses multiples sur sa sexualité et sa date de naissance – comme si c’était ce qu’on regardait chez un Premier ministre –, il a déjà rajouté beaucoup de photos. Gaby devant la botte de paille, Gaby devant les inondations, Gaby devant le CHU, Gaby devant le chantier (trop mignon avec son casque). Le message est clair : de l’action, de l’action, de l’action. Et si ce n’est pas suffisamment clair avec l’image, on va ajouter le récit. Selon La Dépêche, « Gabriel Attal enchaîne les déplacements et les réunions de travail, au prix de précieuses heures de sommeil. » BFMTV ajoute que « le Premier ministre ne dormirait que 3 ou 4 heures, une hygiène de vie qui n’est pas sans conséquence sur la santé à long terme. » Heureusement, conclut La Dépèche,  « la France aime les travailleurs, le dicton “l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt” le confirme. Comme Emmanuel Macron, Gabriel Attal s’inscrit dans cette vision française, quitte à porter les stigmates d’un manque de sommeil chronique sur son visage. » Le mec ne dort jamais. Le mec a des stigmates, comme Jésus. Carrément bluffant.


Plus spectaculaire encore, il parle ! « Je serai un Premier ministre de terrain, à la tête d’un gouvernement de terrain », a-t-il annoncé aux sénateurs lors de son discours de politique générale. On ne voit pas très bien ce que ça veut dire au niveau national (le terrain de la République ?) mais si on en croit les footballeurs et les dealos, le terrain c’est globalement là où ça se passe. Le mec est là où ça se passe. Alors, qu’est-ce qu’il va faire, le PM, là où ça se passe ? « Nous allons déverrouiller, désmicardiser, débureaucratiser, dans un seul objectif : réarmer notre pays. » Une deuxième fois, pour que tout le monde ait bien compris : « Nous agirons autour de trois piliers : désmicardiser, déverrouiller, débureaucratiser. »


Vision d’avenir : sur le terrain, trois piliers, comme dans l’ésotérisme maçonnique. Autour d’eux agira tel un onguent miraculeux le Premier ministre, avec casque et autres accessoires de chantier. Le petit chien mignon gambadera gaiement, levant peut-être discrètement la patte contre un des piliers, et à la fin le pays sera réarmé.


Il y a quand même un os : le langage. Le nouveau et dynamique et christique et efficace Premier ministre a beau ici obéir à son maître, qui a employé le terme réarmer à tout instant ces dernières semaines, on a quand même un petit problème lexical. Ré-armer le pays implique qu’il aurait été désarmé précédemment. Or, on ne peut pas dire que le pays soit particulièrement désarmé, puisque la France est le 2e plus grand exportateur d’armes au monde, et que, comme le PM le rappelle lui-même, le budget de la Défense aura été doublé en deux quinquennats de Macron. Donc réarmer le pays, c’est une image sans signifiant. Ça ne correspond à rien.


Quant aux piliers eux-mêmes : déverrouiller, désmicardiser, débureaucratiser, il est quand même légèrement embêtant que deux de ces trois verbes n’existent tout simplement pas. Pour illustrer une action concrète, il eût été selon nous pertinent d’employer des verbes qui existent, pour commencer.


Mais quand on est un type de la trempe de notre nouveau Premier ministre, on ne va pas se laisser intimider par deux petits néologismes de rien du tout ! On lui fait dire ce qu’on veut, au langage ! Allons-y donc. Les piliers, avec leur préfixe dé- et leur suffixe –iser, construits sur le modèle de la dératisation, désinsectisation et autres chasses aux nuisibles, indiquent en creux les problèmes de la France : les verrous, la bureaucratie, les smicards. Ben oui. On enlève les smicards à coups de mort-aux-rats. C’est pour ça qu’il s’en fiche, le PM, de la motion de censure de l’opposition et de ses jérémiades sur les travailleurs pauvres ! On va les éradiquer, les travailleurs pauvres ! D’abord, « la politique sociale qui sort de la pauvreté, c’est le travail » (8 février). Donc vous voyez, les travailleurs pauvres, c’est un oxymore : si les gens ne s’en sortent pas c’est qu’ils sont fainéants. Et les fainéants, ils ont oublié que « le travail est un devoir » (15 février). Ils sont donc limite au niveau citoyenneté. Quand on veut noyer son chien, on dit qu’il a la rage.


Personne ne s’y est trompé : Gabriel Attal a ressorti des tiroirs le vieux thatchérisme qui peut toujours servir. Travail comme morale supérieure, dérégulation comme moyen pour toutes les fins, on connaît bien la chanson. Pour relever la sauce, ajoutez deux ou trois formules paternalistes – « tu salis, tu nettoies; tu casses, tu répares » –, un couplet sur la fierté nationale (« En France, tout est possible », bisous Napoléon et Eric Zemmour), vous ne vous rasez qu’un jour sur deux pour montrer que vous n’avez pas le temps, et hop c’est dans la poche : vous avez un très bel effet de grand homme d’État. Pour le reste, vous pouvez vous fier à votre dircab, Emmanuel Moulin, ancien directeur du Trésor, artisan de la grande vague d’austérité en 2010 quand il conseillait Sarkozy sur l’économie, puis courroie de transmission pour la banque privée dans laquelle il a pantouflé le temps du mandat de Hollande, et qui est devenue, pile à ce moment-là, la 3e banque conseil de l’État, selon Mediapart. Vous pouvez être tranquille, ça fait vingt ans qu’il veille à ce que l’argent passe toujours par la case « actionnaires ». Les chiens sont toujours meilleurs en meute.


Les réformes de Thatcher, irriguées par les théories de l’École de Chicago comme le fut la Banque Mondiale au même moment, engendrèrent dans les pays du Nord et du Sud les mêmes conséquences : une dégradation des services publics, une hausse des inégalités de revenu, une part croissante des valeurs bancaires dans l’économie. À l’apothéose de ce mouvement historique connu aujourd’hui sous le nom de néolibéralisme, au début des années 1990, émerge le gangsta rap, qui allait faire l’âge d’or du hip-hop. Le décor : la Californie, patrie de toutes les spéculations (ruée vers l’or, vers le pétrole, Silicon Valley) et de toutes les promesses (soleil toute l’année, Hollywood). C’est là que Dr. Dre et Snoop Dogg vont faire exploser en deux ans les revenus du rap avec le label Death Row Records, dont la meilleur vente est l’album de Snoop Dogg, produit par Dr. Dre, Doggystyle, qui se vendra à près de 12 millions de copies dans le monde.


Le principe du gangsta rap est simple : des samples enjôleurs, des rythmiques lascives, et là-dessus, des paroles tournant exclusivement autour de l’argent : argent du proxénétisme, des armes ou du trafic, argent visant la soumission des corps par tous les moyens disponibles. Doggystyle (métaphoriquement « en levrette », et, littéralement, « avec un style de chien ») est un sommet du genre : sur des samples de funk, tous les textes peuvent se résumer à une série de positions sexuelles collectives mâtinées de cocktails et de weed. De l’argent et des crimes revendiqués par des types sortant de prison. Bonnes gens de s’offusquer ; mais telle est en effet la morale promise par le capitalisme néolibéral : tu niques les lois, puis tu niques le game, puis tu niques tout court.


Un style de chien, donc, serait cette facilité à faire passer une levrette pour quelques pas de danse, à chantonner avec décontraction à propos de vendre du crack, à inventer des mots juste pour la rime et pour la frime. On reconnaît bien là une chanson que voudrait nous chanter le PM trop mignon. Mais peut-être devrait-il revoir ses classiques : on ne dure pas dans le game. « Murder was the case », première pause mélodique dans l’album, met en scène la quasi mort de Snoop Dogg, à qui Dieu parle subitement. « Peux-tu me sauver ? » demande le rappeur. Si tu me fais confiance et que tu te rappelles de moi. Sorti du coma, le Dogg fait du sale : il achète une Benz à sa maman, une Jaguar à sa femme ; il a oublié la promesse. Mais voilà le 3e couplet : il se retrouve en taule, et entend les prisonniers affûter leurs armes de fortune « cause you can’t tell what’s next ». 
La puissance est volage, mais la guerre permanente.


Où en est Snoop Dogg, d’ailleurs, aujourd’hui ? Loin de ces variations épiques sur la valeur de la parole donnée (hein Gaby ?), laissons Wikipédia nous le dire : en 2020, il apparaît dans une publicité pour Just Eat, entreprise de livraison de repas à domicile. La même année, il obtient un petit rôle dans la 3e adaptation cinématographique de Bob L’éponge, intitulée Bob l’éponge, le film : Éponge en eaux troubles. En mai 2021 sort sur Netflix le film d’animation Pauvre Toutou !, auquel il prête sa voix.

Pauvre toutou !


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