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Justin Fitzpatrick n’est ni biologiste ni ingénieur. Pourtant, les corps qu’il peint sont ouverts, comme autopsiés, exhibant les veines, les artères, les boyaux et tous les autres tuyaux de l’organisme humain. Pour figurer le mouvement des fluides, le peintre n’hésite pas à dessiner des flèches, à imaginer des systèmes de piston et de câblages. Pour figurer le fonctionnement endocrinien, il pense des structures arachnéennes dont les pattes sont des seringues distribuant progestérone, mélatonine et glucagon. Entre plans d’architecte et planches d’entomologiste, ses toiles comme ses installations mettent toujours en lumière les rouages d’un système. 

 

Ballotta reflète la passion de Justin Fitzpatrick pour les êtres unicellulaires qui nous composent. Le corps d’un homme moyen contiendrait 30 mille milliards de cellules humaines et 38 milliards de bactéries. Notre enveloppe charnelle – refuge de notre conscience – serait donc aussi humaine que bactérienne. Toujours fertile en analogies, l’artiste fait apparaître des chapelets de perles rappelant les chaînes de mitochondrie, ces pseudo-bactéries habitant l’intérieur de nos cellules. 

 

Certes, Justin Fitzpatrick a cherché du côté des microbiologistes les plus audacieux – Nick Lane ou Lynn Margulis – des concepts scientifiques avant-gardistes, comme la symbiogenèse. Mais pour les plus littéraires d’entre vous, n’ayez crainte. Les images qui résultent de ces recherches semblent davantage issues de l’imagination d’un conteur de fables ou d’un alchimiste aux idées folles, prêt à faire fusionner les organismes les plus éloignés. L’exposition est d’ailleurs un clin d'œil au Rêve d’Alembert (1769) de Denis Diderot, dialogue fantasque entre une écrivaine et un médecin sur l’origine des espèces, l’apparition du vivant et la source de la conscience. À l’époque, la phylogénie n’est qu’une ébauche et les théories les plus farfelues vont bon train. Une liberté prémoderne qui fait du bien, à l’air de la précision technique forcenée. 

 


Justin Fitzpatrick, Monographie à la Ferme du Buisson, 2024 © Émile Ouroumov 




Napperons, décors gothiques, boiseries, bordures ornementales, système de bouliers et de filage aux airs de métier à tisser : dans ses sculptures comme sur ses peintures, Justin Fitzpatrick joue avec l’esthétique des enluminures médiévales. À moins que ces encadrements végétaux et ces corps nus à la couleur verdâtre évoquent plutôt la période Art nouveau ? Si on s’approche, suspendus dans de petits porte-clefs, on reconnaît les portraits des membres du groupe pop iconique ABBA. Un corpus de références qui ratisse large, composite comme ses œuvres. 

 

Dans Auto-portrait comme une cellule qui respire (2023), le double de Justin Fitzpatrick est fait de polyuréthane, de résine époxy, d’aluminium et d’acier, de cuir et de coton. Un moulage de son visage flotte au milieu d’une structure en bois sombre à laquelle sont accrochés divers symboles biographiques : des rondelles de citrons, des perles de bois, une lettre A suspendue à un fil. Les matières du mobile sont diverses et bien distinguées les unes des autres. Suivant le principe de symbiogenèse, un individu est d’abord un agrégat d’autres choses, êtres vivants et molécules distinctes. 

 

Au premier coup d’œil, on pourrait croire que Justin Fitzpatrick rêve d’une dissolution du sujet humain. En y regardant de plus près, il semble raconter autre chose : la nécessaire alliance avec le vivant et les autres, les différents de soi. En cela, le peintre s’inscrit dans une mouvance de la théorie critique, largement inspirée du commensalisme et des relations symbiotiques de la nature. Pour faire corps, à l’échelle de l’individu ou de la société, il faut de la symbiose. 



Ballotta de Justin Fitzpatrick, jusqu’au 28 juillet à la Ferme du Buisson, Noisiel. 

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